Parcours

Quand j’ai décidé de me lancer en médecine sur un coup de tête à 23 ans, un gars a dit à une amie (deux ans plus jeune) qui reprenait les études également qu’elle avait « raté sa vie ».
Que vous partagiez ou non cette mentalité, je pense que mon parcours peut vous faire réfléchir.

En entrant au collège, très rapidement j’ai eu des problèmes avec les autres élèves. Après quatre ans de galère j’ai laissé tomber, je suis passé de l’enseignement général en « langues étrangères et sciences fortes » à un lycée technique en « infographie ». C’était avant tout un hobby, jamais l’idée d’en faire mon métier ne m’avait fait envie. Une fois le lycée touchant à sa fin, j’ignorais totalement quoi faire mais je voulais aller à l’université. J’avais monté dans le dos de mes parents un dossier pour partir en immersion en Asie après ma terminale, ce qui me laissait un an de plus pour y penser. J’ai eu mon diplôme, raté ma qualification et me suis envolé pour le Japon.

Sur la fin de mon échange, j’ai en partie perdu l’usage d’une de mes jambes pendant un peu plus d’un mois. Dans ma famille on aime pas trop les médecins, alors on a pas consulté. Et c’est passé.

Après mon retour, vu que j’avais un penchant pour les langues, j’ai opté pour la japanologie. Sauf qu’en Belgique, ce cursus n’existe qu’en Flandre, j’ai donc étudié le flamand tout l’été. Suite au conflit politique entre les deux régions, mon inscription à l’université a été refusée. Pris de court, je me suis lancé dans des études de « 3D » que j’ai abandonnées quelques mois plus tard.

Un peu par hasard, j’ai trouvé ma voie ; travailler sur des tournages. Chaque film est un mini-contrat dans des lieux différents, avec des gens différents, on travaille de nuit et les jours fériés. On oublie le monde réel. Je me suis présenté au concours d’entrée d’une école de cinéma en « scripte/montage » où seulement dix élèves sont pris par année. Je suis arrivé dixième mais cette année là, seulement neuf étudiants ont été retenus.

Après un an de bénévolat dans le milieu, j’ai re-présenté les épreuves, tous les profs étaient contents de me revoir, sauf une et j’ai à nouveau été recalé. Pas grave, j’avais même plus envie de faire d’études, j’allais me former sur le tas.

Entre temps, mon état de santé s’est dégradé mais bien plus fort que la première fois, résumé en ;
Généraliste → IRMs → Neurologue → Hospitalisation, ponction lombaire, potentiels évoqués, scan
→ Verdict : sclérose en plaques (déclarée à l’âge de 19 ans).
L’acceptation a été simple, ma sœur étant handicapée de naissance, pourquoi pas moi ?

Mon premier traitement de fond (visant à retarder la progression du handicap) consistait en des injections quotidiennes. Donc quand j’étais en tournage pour un film, je mettais mes dizaines de seringues au frigo et chaque matin, je me piquais devant les personnes partageant ma chambre.

En 2-3 ans, j’avais percé, j’avais mes contacts dans le milieu, un taff de rêve. Je suis retourné au Japon pendant plusieurs mois pour y faire un film. J’ai ensuite refusé un tournage avec Dujardin pour me concentrer sur l’obtention de mon permis de conduire.

Avec le recul, j’ai réalisé que mon corps ne tenait pas le rythme. L’équipe technique subit un stress énorme. On dort très peu, on a pas de jour de repos, le travail se finit dans la bière, on a pas le temps de manger, alors on boit du café, on fume et on finit alcolo (GROS cliché, pardon).
Il fallait que j’arrête et étant satisfait du dernier film tourné, j’ai tout plaqué pour me réorienter.

Ma maladie était devenue de plus en plus présente puisque comme prévu, mon état se dégradait. Plus le temps passait moins j’aimais les hôpitaux. J’ai donc décidé d’en faire mon lieu de travail pour banaliser cet environnement et nourrir la curiosité que j’avais développé pour la médecine.

J’ai commencé mes études supérieures avec des lacunes énormes en sciences et des troubles cognitifs prononcés (troubles de l’attention, de la mémorisation, …) liés à ma pathologie.
Lors de ma première année, on m’a appelé pour d’autres tournages (Japon, …) auxquels j’ai dû renoncer. J’ai finalement doublé et validé mon concours. Sans avoir jamais cru en moi.

Mes études m’ont aidé à résorber en partie mes troubles cognitifs. Mais beaucoup d’autres de mes capacités diminuent (sensibilité, coordination, motricité, proprioception …). Petit à petit, je n’ai plus été physiquement capable d’aller en cours, je fais partie de ces étudiants que vous croiserez trois fois par an à la fac, présent uniquement en TD obligatoires et aux examens. L’hôpital est devenu ma deuxième maison, je m’y sens à ma place. Les stages me permettent de changer de rôle et d’être celui qui prend soin, qui écoute, qui soulage. C’est là que je suis confiant, car en tant que malade chronique, je peux comprendre les obstacles et les adaptations nécessaires aux patients qui me ressemblent.

En entrant en médecine, j’ai croisé d’autres personnes plus âgées que la moyenne, qui avaient été pompier, pharmacien ou commerçant durant de nombreuses années avant d’entamer ce cursus. Il n’y a pas d’âge pour se réorienter et il y a des tas de raisons de le faire. Même si vous pensez ne désirer qu’une seule chose, il n’y a pas qu’une voie pour y parvenir et vous pouvez à tout moment de votre vie vous découvrir d’autres vocations.

À mes yeux, aucun de nous n’a raté sa vie. Nous l’affrontons et parfois, celle-ci nous dit qu’il est temps de changer de direction. Ne voyez pas cela comme une fin, c’est le début de quelque chose de nouveau. N’ayez pas peur de l’inconnu ou de l’échec, ils sont formateurs eux aussi.

Gardez espoir, battez-vous et prenez soin de vous.

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