Soins palliatifs

Un service particulier

Le service est difficile à trouver, il est entouré d’un jardin rempli de fleurs et d’herbes folles. L’unique couloir est décoré par des cadres, des origamis et des rubans colorés, on dirait presque qu’on y célèbre un anniversaire. Le personnel a également appris à faire des bouquets pour que ceux-ci soient toujours frais, certaines ont cousu des caches pour les poches à urines et des châles en essuies de bain. Les heures de visites sont élargies et les proches peuvent dormir sur place sous certaines conditions.

On n’y prend pas les paramètres des patients, la saturation, la tension artérielle, le rythme cardiaque, tout cela n’a plus d’importance ici.
Les patient-e-s peuvent manger et boire si iels le souhaitent mais ça ne leur est pas imposé. Tous les traitements non essentielles sont arrêtés. On ne donnera donc pas d’alimentation par sonde, pas d’hydratation i.v. (max 250 mL de NaCl en perfusion), pas de glucose. Des antibiotiques peuvent encore être donné mais ils se font rares. Pas de vitamines ou autres traitements pour combler des carences. Pas de transfusion. Pas de prise de sang ni d’imagerie. L’oxygène ne sera donné qu’en cas de dyspnée rapportée par le/a patient-e et non en cas de désaturation, c’est le ressenti qui prime.

Bien entendu, les soins de plaies, les toilettes et une visite quotidienne du médecin continuent d’avoir lieu. Mais pas de réelle anamnèse et surtout pas d’examen clinique sans plainte.

Lorsqu’un médecin va voir un-e patient-e, c’est toujours accompagné-e de son infirmière référente. On ne se rend pas seul-e en chambre. Ainsi, si une discussion éprouvante pour le/a malade est initiée, tout le monde est à jour.

En deux mots: confort et dignité.

Autrement dit, pas d’acharnement.

Officiellement, quelqu’un qui entre en soins palliatifs à une espérance de vie de 3 mois tout au plus mais puisque la fin de vie est loin d’être une science exacte, certain-e-s patient-e-s resteront parfois le double voire le triple de ce temps dans le service. D’autres n’y passeront pas 24h car déjà loin dans le processus avant leur arrivée. Leur transfert peut-être dû à la dégradation de leur état général à domicile, dans un autre service de l’hôpital ou dans une maison de repos. La demande peut donc venir du patient, de ses aidants dépassés, de son médecin ou d’une institution.

Protocole de confort, protocole de détresse & sédation

  • Le protocole de confort concerne majoritairement la prise en charge de l’agitation, des douleurs et de l’anxiété de patient-e en fin de vie.
  • Le protocole de détresse concerne une situation aiguë (grave) à risque vital immédiat. Par exemple, si un-e patient-e avec une atteinte pulmonaire se met à s’étouffer.
  • La sédation palliative, quant à elle, peut se voir par exemple dans des cas ou le protocole de détresse ou de confort ne suffirait pas. Le médecin finira par endormir le patient, c’est un des derniers recours possibles face à des symptômes réfractaires face aux autres prises en charge. Ce n’est pas une décision à prendre à la légère car même si le patient peut encore être réveillable techniquement, il n’est pas souhaitable de revenir en arrière en levant la sédation car les symptômes ayant mené à cette décision ne se résorberont jamais spontanément. La sédation palliative peut être très compliquée à vivre pour les proches car cela peut durer des semaines et plus aucun contact n’est possible avec le/a patient-e.

Globalement, pour les trois situations, les traitements sont les mêmes.
Il s’agit de sédatifs et d’antalgiques, simplement, les dosages varient.

Euthanasie, démêler le vrai du faux

Que ce soit les pro- ou les anti-, beaucoup de gens se trompent sur l’euthanasie.
Il ne s’agit ni de « mourir à la carte » quand on le souhaite, ni d’une « pratique eugéniste » visant à se débarrasser des plus faibles. Il faut également arrêter de confondre euthanasie et « suicide assisté » car il ne s’agit pas du même acte, les conditions et la procédure sont totalement différentes.

En Belgique, on pratique l’euthanasie.
Elle a été dépénalisée en 2002 pour les adultes et en 2014 pour les mineurs.

Enfin, « on pratique », la réalité du terrain c’est que extrêmement peu de médecins acceptent de faire cet acte, très peu même acceptent de donner un second avis dans le cadre d’une demande d’euthanasie ou ne sont pas qualifiés / formés pour le faire. Pire encore, même dans le cas d’un refus, les praticiens ont l’obligation de rediriger vers un-e collègue qui pourra donner suite à la demande et même ça n’est pas respecté. Certaines unités palliatives belges ne pratiquent pas l’euthanasie, un comble. Donc en plus de remplir les conditions légales, les patient-e-s doivent se battre pour faire valoir leur droit.

Demande anticipée

Souvent confondue avec la demande active, finalement il s’agit d’une simple demande préventive de non acharnement thérapeutique. Imaginons que vous vous mangez un sapin en faisant du ski vous mettant dans le coma sans retour possible. Les conditions sont les suivantes:

  • être incapable d’exprimer sa demande car inconscient(e) de manière irréversible
  • être dans une situation médicale réunissant les conditions fixées par la loi
  • avoir rédigé une déclaration anticipée endéans les 5 ans suivant le modèle prévu par la loi (deux témoins obligatoires, …)

Demande active

  • être conscient
  • capable d’exprimer sa demande
  • dans une situation médicale réunissant les conditions fixées par la loi (situation médicale sans issue et souffrance physique et/ou psychique constante, insupportable et inapaisable résultant d’une affection accidentelle ou pathologique grave ou incurable)

Quand on parle d’euthanasie, c’est bien de la demande active / actuelle. Ce sont majoritairement des malades en phase terminale qu’il s’agisse de cancers, de maladies pulmonaires, cardiaques, neurodégénératives ou autres. Mais même en phase terminale, on fait la distinction entre les personnes mourantes à court terme et celles dont la mort est imminente. Et ce point est crucial car il est également pris en compte dans les démarches d’une euthanasie.

  • Pour une euthanasie à brève échéance, il ne faut que deux avis médicaux. Un premier avis étant celui du médecin qui pratiquera l’acte et un deuxième avis d’un médecin indépendant. Il n’y a pas de délai minimum donc l’acte peut être fait très rapidement, l’intérêt est en effet d’écourter l’agonie inexorable à laquelle la personne est exposé dans l’immédiat.
  • Pour une euthanasie qui n’est pas à brève échéance, il faudra au minimum attendre un mois entre la formulation de la demande et l’acte et cela nécessitera trois avis médicaux. En général, le premier avis vient du médecin qui fera l’acte, un deuxième avis provient d’un psychiatre et un troisième avis provient d’un médecin spécialisé dans la pathologie dont le/a patient-e souffre.
    Petite anecdote, le 2ème et le 3ème avis ont beau être impératifs, ils ne doivent pas forcément être favorables. Donc, même si l’un des avis est négatif, l’euthanasie peut se faire.

L’euthanasie est un acte médical, irréversible et lourd à porter, pour des soignant-e-s, cela n’a rien d’anodin. C’est un ultime geste d’humanité pour soulager le/a patient-e qui en fait la demande.
Une euthanasie nécessite impérativement qu’un lien thérapeutique existe avec le malade, que vous le/a suiviez et connaissiez son cas. Vous devez être conscient-e de son état, de son parcours de soin, de ses relations avec ses proches et bien d’autres. Déjà, ça vous permet d’être en accord avec le geste mais il vous faut également tout justifier à la CFCEE (Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie); « nature et description de la souffrance constante et insupportable », « raisons pour lesquelles la souffrance est inapaisable », « éléments permettant de s’assurer que la demande était volontaire, réfléchie, répétée et sans pression extérieure », …
Personne ne pratique un tel geste sur un coup de tête pour rendre service et en restant de marbre.
On a beau savoir que ce que l’on fait est juste, cela nous touche. Répondre à toutes les demandes justifiées n’est pas possible et c’est pourquoi je souhaite avoir la force de pratiquer cet acte.

C’est aussi pour les raisons énoncées précédemment qu’il est très difficile d’accéder aux demandes d’euthanasie des étrangers. Déjà, toutes les unités la pratiquant ne sont pas ouvertes aux non résidents. Les demandes à brève échéance sont impossibles puisque le lien thérapeutique est inexistant de prime abord. Il faut donc envisager de venir régulièrement en consultation loin de chez vous ou être prêt à déménager en Belgique. En effet, débarquer après avoir vendu tous vos biens devant un service belge de soins palliatifs ne vous y donnera pas accès (oui, ça s’est déjà vu).
Gardez les pieds sur terre, vous n’êtes pas en train de commander une pizza au self.

Répliques de patient-e-s

Si le fil de la bobine est terminé, on ne peut plus coudre. 
- A bientôt Monsieur.
- Ah non, pas « à bientôt Monsieur ». Je viens pour mourir.
Dans le service précédent, j'attendais parfois 1h30 pour 
qu'on réponde à la sonnette, ici vous êtes à mon chevet en 
moins de 10 minutes. Parfois quand je me réveille, j'ouvre 
les yeux et vous êtes là. Il faut que je m'y fasse.

Conclusion

Merci.

Ce sont les mots que l’on retient lorsqu’un proche en deuil vient nous apporter des chocolats ou lorsqu’un-e patient-e nous dit que pour la première fois depuis des années, iel n’a plus mal.

Le plus dur en soins palliatifs, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas de voir partir les patients mais bien de dire au revoir aux vivants.
Quand le stage touche à sa fin et qu’on ignore comment l’histoire se termine.

Vous me manquez déjà.

Première vague

Est-ce qu’il y a quelques mois vous auriez pu croire devoir assister à des funérailles via Zoom ?
Est-ce que vous auriez pensé amener un proche aux urgences, devoir rester dans la voiture et qu’on vienne vous trouver une heure plus tard pour vous dire qu’on avait rien pu faire ?
Est-ce que vous auriez cru que c’était un privilège de vous laisser approcher son corps sans vie ?
Maintenant, toutes ces situations sont bien réelles.

Ce qui m’a le plus marqué durant cette première vague, je pense, c’est ce sixième sens relatif induit par la férocité du virus faisant qu’à chaque admission il me semblait évident si le patient allait vivre ou mourir. Cela n’avait jamais été aussi limpide, dès que je souhaitais prendre de leur nouvelle en espérant me donner tort, je lisais la dernière note écrite.
Au mieux, j’avais droit à un : « Positif au SARS-CoV2 »
Patiente suivante: « Retrouvée décédée dans sa chambre ce jour, famille contactée. »
Patient suivant: « Fils d’accord pour l’autopsie. »

Certains patients n’avaient même pas le temps de quitter le service d’urgences en vie. Je repense à ce monsieur, en grande forme pour son âge, aucun antécédent, proche d’être centenaire mais qui ne les atteindra pas car il respire à près de 40/min. Il entend parler de son statut et lance au personnel un regard de défi. Sans un mot, il montre le moniteur affichant ses constantes vitales l’air de dire :
« Eh! Je suis toujours en vie ! Je vais pas me laisser bouffer par cette merde, vous verrez ! ».
Et bordel qu’est-ce que je voudrais y croire autant que lui.

Puis il y a ceux qui sont jeunes mais malades présentant de multiples défaillances d’organes et dont la saturation en oxygène descend à chaque battement de cœur, j’ai tellement peur pour eux. Iels se présentent à l’hôpital en pensant qu’on va pouvoir les aider alors qu’on regarde le moniteur qui clignote et bipe de plus en plus bruyamment, on sait que ces patients n’ont droit à aucune visite, ont un « statut » depuis longtemps interdisant un passage par les soins intensifs, l’intubation et la réanimation.

Quand je sens qu’un patient va mourir, la seule chose qui me vient à l’esprit c’est de le rejoindre en chambre pour lui tenir la main. Mais qui veut mourir aux côtés d’un inconnu déguisé en un croisement entre un canard et un astronaute ? Puis il y a le manque de matériel, la culpabilité m’envahit déjà, j’essaye de limiter mes entrées en chambre pour préserver les gants, les combinaisons, etc. C’est certain que ce patient va mourir mais combien d’autres décéderont avant ? Qui aura droit à ma compagnie, aussi médiocre soit-elle ? Qui en a besoin ? Qui en a envie ?

Depuis le début, on reçoit énormément de patient-e-s provenant de maisons de repos par ambulance sans motif / explication, ce sont des patients trop confus pour nous expliquer pourquoi ils sont là. On se sait même pas si la confusion est aiguë ou chronique, c’est absurde.
Des sutures sont faites dans des conditions d’hygiène douteuses car la seule chose à laquelle on nous demande de penser c’est de trancher entre covid «+» et covid «».

Le téléphone sonne régulièrement « Je vous appelle pour savoir si j’ai le covid » en pleine nuit, 25 ans, pas d’antécédent. Autre appel, le patient est embêté, son employeur exige un certificat de non contagiosité pour pouvoir reprendre le travail, ça n’existe pas.
Certains se présentent aux urgences pour exiger un scanner ou un frottis alors qu’ils vont bien, allant jusqu’à appeler la police pour « non assistance à personne en danger » quand on leur refuse.

En dehors de patient-e-s touché-e-s par le virus, on reçoit (en moins grand nombre) les classiques: malades chroniques, hypocondriaques, psy, infarctus, tentatives de suicide et objets dans le rectum.

Parfois on retrouve un peu de légèreté en lisant un motif de consultation :
« S’est tapé le doigt avec un marteau ».
Seul antécédent : « Main versus tronçonneuse ».
Alors on sourit, un peu.

Au niveau du personnel, c’est très tendu. Une dame de l’entretien pleure dans le couloir, on lui a dit qu’elle « gâchait » des tenues d’isolement avec ses problèmes de peau. Certain-e-s se laissent bouffer par l’angoisse que génère les médias et les réseaux sociaux. D’autres sont en colère et se plaignent de devoir travailler dans des conditions inacceptables pour leur propre sécurité. On ne peut certes pas leur donner tort mais où vont-iels chercher cette énergie pour taper un scandale ? C’est tellement évident qu’on a rien, chaque semaine le matériel est moins sécure que celui de la précédente et pourtant bien mieux que celui de certains pays voisins. Bien sûr c’est inacceptable; mais je n’ai même pas la force de m’en étonner.

Les étudiants volontaires se battent également pour tenter de sauver leur mémoire, leur examens et leur diplôme sans aucune garantie de la part des facultés. Certain-e-s appellent au boycott quand d’autres viennent assurer les permanences avec des agrafes dans la tête et une suspicion de commotion cérébrale. Et progressivement, suite à l’absence de masque et les rassemblements quotidiens, tous ces étudiants présentent des symptômes.

La nuit, c’est plus calme. On se retrouve dans la cuisine à gratter le fond du frigo, on partage les vidéos de GuiHome sur le coronavirus, tout le monde rigole de bon cœur, enfin un peu de répit.
On se raconte nos vies, nos divorces, on s’échange les photos de nos enfants, et les anecdotes pour les placer durant la crise. Personne ne semble en vouloir parce qu’on est soignant. On se fait rêver mutuellement en racontant nos anciennes escapades et nos projets avortés, des vacances aux voyages humanitaires en passant par les maladies parasitaires, on ne voit pas les heures défiler.

De l’intérieur de l’hôpital, on n’entend pas d’applaudissement mais on apprécie tous les gestes. Tous ces restaurants qui nous ont livrés des plats délicieux avec des mots d’encouragements accrochés à chaque portion, vous nous avez réellement donné de la force.
Dans ce contexte, chaque boisson partagée, chaque conversation, chaque rencontre était belle et généreuse.

Une fois de plus, je quitte l’hôpital, j’ignore quel jour on est. Je rentre chez moi après une garde de nuit, fatigué mais heureux.
Aujourd’hui j’ai appris qu’on avait extubé un des nombreux médecins hospitalisés en soins intensifs.

L’espoir renaît.

En attendant le corona

Au départ, de l’Occident, on suivait tout cela de loin quand le SARS-CoV-2 a fait son apparition à Wuhan.
Les vols étaient surveillés, les personnes suspectes étaient soumises à des contrôles et mises en isolement.
Puis l’Italie a été touchée et c’est parti en Chocapic pour l’Europe.

Début mars 2020, je commence un stage dans un hôpital de Bruxelles, on est directement briefé sur la situation de l’épidémie et l’objectif des mesures prises par la direction (le fameux « flattening the curve » que vous verrez partout dans les médias quelques semaines plus tard). Bien sûr, on nous rabâche sur les règles d’hygiène. Cela fait un moment qu’on entend parler de vol de masque et de gel hydroalcoolique en France mais au premier jour, tout semble normal chez nous. Comme d’habitude, les assistant-e-s (= internes pour les français-es) sont débordé-e-s. On va avoir du mal à trouver notre place dans cette équipe, nous les internes (=externes en pour les français-es) sommes en trop grand nombre dans ce service, ça n’aide pas.

Au deuxième jour, on remarque déjà des changements, les masques sont maintenant cachés dans des pièces réservées au personnel et les stocks ont été repris par la direction, on rationne leur usage, maximum 1/jour/personne, on nous encourage même à le garder davantage, ce qu’on finira tous-te-s par faire. Les pots de gel hydroalcooliques normalement disposés à l’entrée de chaque chambre ont été divisé par deux et ils sont maintenant colsonnés à leur support. Le message est clair.
En dehors de ça, tout est normal. Enfin, ça s’est ce qu’on croyait.

La semaine d’après, une rumeur court; un de nos patients est décédé, il a été testé post-mortem, il serait positif au covid-19. Bien sûr, pratiquement la moitié du service avait été en contact direct avec lui sans aucune protection. Pas même un masque chirurgical, on ne les utilisait encore que pour les isolements à ce moment. Je me souvenais bien de ce monsieur, je l’avais moi-même piqué et il me paraissait vraiment en bout de course.
Ma première réaction c’est la colère. Pourquoi ce bruit court, pourquoi ne nous a-t-on rien dit en face ? Où sont les mesures qu’on s’attend à voir ? Je suis perdu. La veille, j’ai vu énormément de patients fragiles sans protection parce que cette partie de l’hôpital n’en disposait pas. Et si j’étais porteur ? Toutes ces personnes que j’ai tenté de rassurer qui étaient pour certaines venues avec un masque et qui l’avait retiré face à un professionnel de santé. Allaient-elles mourir à cause de moi ?

Finalement, l’info étant confirmée, une feuille a circulé pour avoir nos coordonnées, une secrétaire nous a appelé pour vérifier si on avait bien été en contact avec ce patient, a l’affirmative, elle en a pris note et a dit qu’un médecin nous rappellerait. On n’a pas été rappelé.
On est donc rentré chez nous, sans consigne de protection ou de quatorzaine. Le lendemain, toujours pas de nouvelles, on retourne donc en stage. On sera simplement rappelé par la secrétaire:
« Bonjour, désolé on a pas pu vous rappeler hier, les consignes c’est que vous devez porter un masque de votre entrée à votre sortie de l’hôpital
– Quel masque ?
– Comment ça ?
– Quel type de masque, un masque chirurgical, un masque FFP2 ?
– Ah. Je sais pas. Je vous rappelle. »


« Un masque chirurgical.
– C’est tout ?
– Oui.
– Ok… »

En réalité, j’étais aussi censé prendre ma température 2x/j mais elle a oublié de me le dire.
Je n’ai pas compris pourquoi on ne devait pas porter de masque hors de l’hôpital alors qu’on croisait masse gens dans les transports donc j’ai changé les règles; port du masque de la sortie du domicile à mon retour. Rapidement après cet évènement, toutes les consultations sont suspendues ainsi que les réunions non essentielles à la survie des patients.

À la mi-mars, le confinement est déclaré, les stages sont annulés, celleux qui continuent de se rendre à l’hôpital sont appelés « les volontaires ». Les visites qui étaient limitées à quelques personnes ont finalement été interdites dans tout l’hôpital qui disposent de vigiles pour contrôler les entrées/sorties. Bien qu’on n’a pas besoin d’attestation pour circuler en Belgique durant le confinement, l’hôpital nous a déjà fourni un document pour ne pas se retrouver bloqué si les contrôles devaient devenir plus sévères. L’établissement a deux étages entiers dédiés au coronavirus (confirmés ou suspicions) sans compter les soins intensifs. Notre service a rapidement été vidé pour ne plus contenir aucun patient de notre spécialité. Nous servons alors de relai aux urgences. Nous voyons les patients qui après avoir été testés, semblent ne pas être contaminés si on se fie à leur imagerie thoracique (CT scan), nous les prenons en charge et les renvoyons chez elleux. Le frottis est la forme obligatoire de dépistage mais c’est lent et peu sensible (71%), ça fait donc beaucoup de faux négatif. Ce n’est pas top quand on teste un malade et qu’on obtient une réponse erronée. Donc frottis + imagerie, c’est un bon compromis.

Jamais de ma vie je ne m’étais retrouvé dans un service constitué de dizaines de lits totalement vides, on peut parcourir le couloir en long et en large, tout est propre, prêt et pourtant personne ne vient. Le personnel est sur le qui-vive, au fur et à mesure on se détend, on peut même voir des infirmières jouer aux cartes (scène impossible dans n’importe quels autres contextes). L’ambiance est bonne et pourtant, un nuage d’inquiétude nous survole, on sait que le pire est à venir. On a beau anticiper, on sera submergé par la vague, la seule chose qu’on ignore c’est quand.
Les chefs nous partagent leurs inquiétudes, les récits des quelques patient-e-s qu’on n’a pas pu sauver commencent à circuler. Le personnel ne veut plus rentrer dans les chambres où on sait comment l’histoire se termine. La cellule psychologique à notre attention est en place. La pression est mise sur les médecins pour attribuer un statut à chaque patient-e, autrement dit, qui peut être réanimé, qui peut bénéficier de certaines procédures comme la ventilation artificielle et surtout, qui n’y aura pas droit.

R e s t e z     c h e z     v o u s .

Bachelier en Médecine, est-ce que ça valait le coup ?

De la première à la troisième année de médecine

Cinq longues années de doutes et de remises en question.

Une absence totale de bagage scientifique; suite à un diplôme de technicien-ne en infographie et à mon activité bénévole et professionnelle dans le milieu du cinéma durant plusieurs années. Autant vous dire que j’ai bégayé quand j’ai vu des orbitales et des matrices pour la première fois de ma vie sur les bancs de la fac.

Reprendre des études sur le tard; non seulement je comprenais moins de choses que les autres mais en plus iels avaient 5 ans de moins que moi. Et puisque je vais doubler ma première année et faire les 2 années suivantes en 3 ans, il y a maintenant 7 ans d’écart avec la majorité de mes futur-e-s collègues.

Le concours; quand je suis entré en médecine, j’ai passé un test non contraignant (c’était juste une indication de notre niveau, histoire de se faire une idée). Sauf que j’ai pas validé mon année, et entre temps on a eu droit à des réformes, l’année suivante, pour valider ma première, j’avais un concours en juin avec un numérus défini. L’angoisse.

Les notes; elles n’ont jamais été fameuses, j’avais des difficultés à peu près partout. Toutes les personnes ayant une moyenne inférieure à 8/20 en janvier allaient être réorientées. Et il y en a eu des tas. Lors de ma première année en tant que doublant, les quatre cinquièmes de la promo ont été renvoyés comme des malpropres au milieu de l’année. Je vous raconte pas le bordel. Par chance, j’y ai échappé de peu.

Les rattrapages; omniprésent dans ma vie, j’ai passé tous mes étés en faculté de médecine à étudier, enfermé jusqu’à début septembre.

Changer de fac en milieu de cycle; après ma première année, j’en pouvais tellement plus d’avoir été malmené durant ces 2 ans pour la valider que j’ai décidé de changer de ville et de fac. Cette expérience a aussi été extrêmement houleuse et compliquée. J’en retiens très peu de positif même si je ne regrette pas ce choix.

Les potes; tisser des liens c’est jamais évident, dans ma première fac je vais rapidement trouver les autres personnes qui comme moi sont plus âgées mais contrairement à moi elles vont réussir et on ne sera plus ensemble. D’autres ne seront plus autorisé-e-s à continuer leur cursus et devront changer de pays. Moi-même en changeant de fac et en arrêtant d’aller en cours, je cesse de tisser des liens.

Les projets avortés; j’aurais beau souhaiter faire des activités extra-universitaires, je ne parviendrais jamais à suivre de cours de langue durant ces cinq longues années. Je parviendrais cependant à me mettre au sport durant quelques temps, jusqu’à ce que ma santé me rattrape. Mon activité principale et ma seule activité est l’étude. Je ne suis qu’oreille pour enregistrer, qu’oeil pour capturer et neurone pour mémoriser.

La santé; encore des doutes et beaucoup de douleurs psychiques, je présente tous les symptômes du burnout, les maladies chroniques s’accumulent comme pour me lancer de nouveaux défis.
Sclérose en plaques, dépression, dysautonomie.

La fin du supplice: le master

Tous ces événements n’ont pas eu lieu au début de ma quatrième année mais presque.

La persévérance; même si c’est ma sixième année en faculté de médecine alors que je ne suis qu’en quatrième et que certain-e-s de mes ami-e-s seront diplômé-e-s cette année, je ne le vis pas comme un échec. Je me suis accroché sans relâche pour en arriver là où j’en suis et même si c’était parfois insoutenable, j’ai tenu. Je connais ma force et mes doutes se sont dissipés.

La résilience; j’ai arrêté de me comparer aux autres, je sais que ma situation m’est propre, je ne suis pas dans la compétition. Je n’ai pas un parcours parfait, je ne serai jamais major de promo mais j’aurai ce que je suis venu chercher. J’aurai la spécialité que je vise, pas parce que je suis meilleur qu’un autre mais parce que je sais quels sont mes atouts.

Le master; pour la première fois dans ce cursus, je n’ai plus le sentiment d’être là pour être éliminé par des épreuves rocambolesques. Je me sens enfin réellement « étudiant en médecine » et pris au sérieux. C’est tellement apaisant, je peux enfin relâcher la pression.

Les notes; durant 3 ans nos notes sont comptabilisées et il est important d’avoir la meilleure moyenne possible pour obtenir notre spécialité de choix. Même si j’en suis conscient et que ça pourrait être un poids supplémentaire, je n’ai jamais aussi bien vécu une session d’examens que celle de janvier 2020. Car maintenant, je sais que je vais y arriver. Ma moyenne est bien plus haute qu’auparavant pour un moindre effort.

Les stages; au premier semestre, j’en ai effectué deux, un en médecine générale et un en soins intensifs. Ils se sont super bien passés et surtout, je me suis éclaté (surtout à l’USI). On m’y a bombardé de compliments et j’ai appris tellement de choses que je ne peux les résumer ici. Puis quel plaisir d’avoir à nouveau des patients, j’ai pas les mots.

Les potes; pour mon master, je suis retourné dans ma première fac (la seconde ne donne pas la suite du cursus). J’ai retrouvé mes ami-e-s et je m’en suis fait de nouveaux. Certain-e-s m’y rejoindront l’an prochain. J’ai eu du mal à croire qu’iels attendaient autant mon retour que moi mais c’est un fait, on est réciproquement enchanté-e de se retrouver. C’est beau.

D’amour & d’amitié; ceci est une petit parenthèse mais j’ai également la chance de vivre ma plus belle histoire de couple depuis 3 ans et une de mes plus belles amitiés depuis 2 ans.

Les projets; contrairement à avant, je m’autorise enfin de vivre. Ainsi, j’ai suivi des cours de langues étrangères orientés sur le médical. J’ai suivi une formation sur la gestion des voies aériennes, je suis retourné au bloc opératoire, j’ai fait mes premières échographies et sutures. J’ai entamé des démarches pour partir faire un stage à l’étranger cet été. J’ai commencé le suivi d’un patient chronique sur 3 ans.
Et surtout, j’ai dispensé des séminaires à des étudiants en santé en tant que patient expert.

La santé; au niveau psy, je suis sous anti-dépresseur depuis un an et demi et cela m’a énormément aidé. Je revis. Pour le reste, je fais avec, il y a des jours avec et des jours sans mais je serai inarrêtable. Sur ce qui concerne ma santé, je ne tolérerai aucun obstacle ou dénigrement validiste.


Alors, est-ce que ça valait le coup ?

Totalement.

Valide ta maladie

Fin 2019, une de mes proches est tombée « réellement » malade, une pathologie aiguë qui se soigne mais elle a dérouillé un bon mois, ça commence doucement à aller mieux.
C’est le genre de personne qui pousse toujours ses limites physiques aux extrêmes et qui cherchent des réponses. Naïvement, quand le diagnostic est tombé, je me suis dis que ça lui ferait peut-être un peu de bien. Pas que je lui souhaite d’aller mal mais je savais qu’elle s’en sortirait et j’espérais qu’elle apprenne de cette expérience pour voir son quotidien différemment et le mien à la rigueur (en tant que malade chronique).

Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Elle m’a expliqué qu’elle avait cherché à comprendre pourquoi ça lui était arrivé. Pourquoi elle. Pourquoi à ce moment. Qu’avait-elle fait pour attraper ça.
Vous la sentez la responsabilité du malade ?

Alors comme à son habitude, elle a décidé qu’elle s’occupait trop des autres et pas assez d’elle.
[Vous ai-je dis qu’elle m’a demandé pourquoi j’appelais après 35 min de monologue de sa part ?]

Elle a donc fait une recherche internet basé sur son ressenti et a décidé d’entamer un suivi avec une psychologue orienté dans les énergies / chakra / amour de soi pour minimum 6 mois à consulter toutes les deux semaines. Comme à chaque initiative de la sorte de sa part, elle est persuadée d’avoir trouvé la réponse, qu’avant elle était dans le faux. Elle va nous dire qu’elle a beaucoup appris, qu’elle a évolué, que c’est quelqu’un de mieux maintenant, c’est certain ! Dans quelques mois elle nous dira que si elle s’est retapée c’est grâce à cette psy, parce que les antibio : « Ohlala, qu’est-ce que ça l’a fatiguée ». Jusqu’au prochain virus & la nouvelle révélation de sa vie.

« Tu comprends, je pouvais rien faire, j’étais essoufflé sans arrêt. » C’est mon quotidien.
« Le temps qu’il me faut pour m’en remettre, j’ai l’impression d’être stone h24. » Moi aussi.
« J’ai dû monter une pente, c’était tellement dur, t’imagines pas. » Si.

Est venu le moment où elle m’a dit devoir me laisser mais au fait, comment tu vas toi ?
Bawi, c’est vrai ça, comment je vais. Je lui ai juste dit que c’était pas terrible en ce moment.

« Oui mais t’es très sédentaire. Tu bouges pas beaucoup, tu vas voir, avec tes stages ça va s’améliorer, rentrer dans la vie active va te faire du bien, quitter ton bureau un peu »

C’est fou ce que les valides peuvent être indécent.

Hommage à Claire Wineland

Ndlr : Avant tout, je tiens à préciser que je n’ai pas eu la chance de rencontrer ou de communiquer avec l’intéressée et que tout ce qui est rapporté dans cet article est écrit/traduit à partir des vidéos en ligne provenant de la chaîne youtube officielle de Claire Wineland ou de conférences qu’elle a données.
Mon but est de perpétrer son message et de retirer la barrière de la langue en lui offrant un nouveau public.

Claire était une activiste, une artiste et sans conteste une optimiste.

Vous connaissez l’expression « Il faut tout un village pour élever un enfant » ?
On dira d’elle après sa mort que c’est l’enfant qui a élevé le village et ce village, c’était le monde.

Claire est née en 1997 avec une maladie génétique appelée la mucoviscidose, celle-ci cause une accumulation de mucus dans tous le corps (sinus, poumons, foie, pancréas, intestins, etc) poussant ces organes à dysfonctionner. C’est une maladie progressive, c’est-à-dire qu’elle s’aggrave avec le temps et c’est une maladie terminale, il n’y a pas de guérison possible. Son espérance de vie était de 10 ans à la naissance, celle-ci croît lentement jusqu’au début de la vingtaine grâce aux progrès de la médecine.

Périodes emblématiques

À 6-7 ans : prise en charge de son dossier médical

Claire était seule à l’hôpital pour une chirurgie, elle ne comprenait pas ce qu’on allait lui faire.
Elle s’est mise à poser des milliers de questions au personnel médical, elle a lu tous ce qu’elle pouvait et elle a fini par tout comprendre. Dès lors, elle pouvait parler comme un-e adulte, en jargon médical, elle était prise au sérieux et des soignants viendront même tester leurs connaissances aux siennes.

« Je veux savoir exactement ce qui rentre dans mon corps, être dans le contrôle »

C’est à la même période qu’elle s’est mise à lire les décharges que ses parents signaient quand elle partait au bloc disant que ci ou ça pouvait arriver et qu’ils ne poursuivraient pas l’hôpital. Il y avait toujours cette phrase : « Il est possible que le patient ne se réveille pas après l’intervention. ».
C’est devenu obsessionnel, elle avait besoin de lire cette ligne et d’y penser.
Pratiquement à chaque fois qu’on la mettait sous anesthésie elle faisait semblant de mourir pour plaisanter. Elle pensait être prête pour ça, elle s’imaginait partir sur la table d’opération durant une chirurgie de routine en ayant sorti une dernière blague avant de s’endormir, la main dans celle d’une infirmière qu’elle ne connaissait pas. Mais comme tout le reste, rien n’est prévisible et quand elle est partie pour la première fois, ça ne s’est pas passé comme elle l’imaginait.

À 8 ans : faire de l’hôpital sa maison

Pour passer le temps, elle aimait parcourir des magazines de déco. Elle a pris conscience du potentiel de sa chambre d’hôpital, il y avait 4 murs, une fenêtre, des meubles soit ; l’opportunité d’en faire quelque chose.
Dès lors, elle décide de décorer les lieux (et elle le fera à chaque hospitalisation), elle déplace le lit, le fauteuil, la table alors qu’elle est reliée à son oxygène et à ses antibiotiques en i.v. Elle apporte des coussins, des peluches, des plantes, des banderoles, des guirlandes lumineuses, des photos, une guitare. Elle refait ses murs en brique rouge à la peinture, elle écrit des citations et peint le système solaire (sauf Mars, omission qu’elle ne réparera jamais). Elle se fatigue tellement que toutes ses machines se mettent à sonner alertant le personnel qui vient voir ce qu’il se trame, les lieux sont méconnaissables et plein de gens veulent les visiter.
Claire pouvait rendre une chambre d’hôpital belle et rassurante.

« On est tellement coincé dans la conception que c’est un lieu blanc, froid et stérile où l’on va pour mourir qu’on ne se laisse pas la possibilité d’en faire autre chose. On dit aux enfants malades que ça ira mieux quand iels sortiront au lieu de leur apprendre à continuer à vivre à l’hôpital et à continuer à vivre avec la maladie. »

À 13 ans : coma, fondation & conférences

« Je suis techniquement morte à l’âge de 13 ans enfin, je suis revenue donc ça ne compte pas. J’avais une opération de routine à la suite de laquelle j’ai fait une septicémie (infection du sang). »

Son état s’est dégradé et elle a commencé à se sentir partir. Elle s’y était préparée toute sa vie, elle n’avait pas peur de la mort, elle découvrait cette sensation qu’elle accueillait sereinement durant quelques heures, jusqu’à ce que l’effroi la gagne, la vague de terreur qui envahissait ses proches. Elle a commencé à délirer, elle voyait les gens qui l’entouraient avec des têtes d’animaux (ce qui valu quelques coussins aux têtes des médecins). Elle avait le sentiment que son masque à oxygène était rempli d’eau, elle ne pouvait plus respirer. Elle s’est vue de l’extérieur en train de paniquer, elle s’en rendait compte, souhaitait pouvoir se calmer mais n’y parvenait pas et c’est là qu’elle a réalisé qu’elle était en train de mourir. Elle a eu cette réaction d’excitation un instant en mode « wow, cool ». Elle y avait tellement pensé durant sa vie, elle avait été fascinée par la mort et croyait naïvement être en paix à ce sujet.

Environ une heure plus tard, ce n’était plus drôle du tout : « Il arrive un moment où on se déconnecte, on perd le contrôle de nos pensées. Ce qui est bizarre car quand on est en vie on ne réalise pas à quel point on est proche de perdre le contrôle de notre cerveau, tant qu’on est à la barre, on ne se rend même pas compte qu’on tient le gouvernail. C’était comme être dans un avion qui perdrait le contrôle et devoir apprendre à piloter en chute libre. » Elle essayait de se raccrocher à quelque chose et elle n’y arrivait pas. En un claquement de doigt son état était passé de l’excitation à une perte de contrôle totale.

The all point of dying is to be scared.

« Quand vous êtes en train de mourir, chaque cellule de votre corps (votre cerveau en particulier) met toute son énergie à tenter de vous protéger et à vous faire désirer d’être en vie. Qu’importe le nombre de fois où vous avez pensé à la mort ou que vous pensiez être en paix avec elle, quand ça arrive, tout votre corps vous dit « restes en vie, reviens à la vie, bats-toi ». Qu’importe votre relation avec la mort, au moment de votre décès vous devez faire le deuil de la vie que vous auriez pu vivre. C’est une prise de conscience de tout ce que vous auriez pu faire et que vous ne feriez pas. Je devais faire le deuil de tout mon potentiel si ma vie devait s’arrêter là, maintenant, à 13 ans et je ne voulais pas lâcher ça. Les gens ne réalisent pas que vous n’êtes pas censé mourir en paix. Vous devriez avoir peur de la mort, en être terrifié, même si c’est naturel et que vous allez forcément mourir, ça veut dire que votre vie signifie quelque chose pour vous. »

Elle voulait tenir la main de quelqu’un, que quelqu’un tienne la sienne, elle voulait pleurer, crier, revenir en arrière, être quelqu’un de différent, quelqu’un de mieux, juste pouvoir vivre à nouveau l’expérience d’être en vie et elle a arrêté de prétendre que ce n’était pas le cas. « C’était tellement satisfaisant de désirer vivre à ce point. Malgré tout ce que je devais faire pour rester en vie, j’en avais envie. »

Il y a une balance entre la partie de vous qui a fait son deuil et qui veut se laisser aller et celle qui se bat. Au moment où elle s’est laissé partir, elle a été intubée et mise dans le coma. Elle se réveillera 17 jours plus tard et devra réapprendre à marcher.

Suite à cette expérience, Claire crée sa propre fondation ; The Claire’s Place Foundation. Bien que la mucoviscidose soit une maladie génétique importante, les fonds vont tous à la recherche pour trouver des traitements, elle voulait pouvoir soutenir les enfants au présent et pas juste dans le futur. Sa fondation a pour but d’aider les parents à payer leurs factures pour pouvoir passer plus de temps auprès de leurs enfants malades. Au début personne ne la prenait au sérieux mais au fur et à mesure, elle s’est faite des relations et un nom, elle fait son premier TEDx à 14 ans signant le début de sa carrière de conférencière.

Speak only positive thoughts in this room
Quand elle parle de son coma, elle rapporte des hallucinations voire des rêves. Elle se souvient que le décor changeaient en fonction de voix des gens présents, si c’était ses proches, elle était dans un lieu magnifique et paisible mais quand elle ne les connaissait pas, le décor était anxiogène.
Aussi, pour faire baisser sa température, l’équipe soignante appliquait des pack de glaces sur son corps, pendant ce temps elle rêvait qu’elle était en Alaska. Elle finira par s’y rendre avec sa famille.

La vingtaine : le déclin & la transplantation

Pendant longtemps, Claire refusait d’envisager une greffe des poumons.
En mai 2018, elle poste une vidéo où elle revient sur son état de santé, celui-ci s’est drastiquement dégradé durant les mois précédents. Ses conférences l’obligent à voyager mais elle n’a même plus le droit de prendre l’avion. Elle ne peut plus nager, randonner ou travailler. Elle doit être sous oxygène sans interruption et si elle oublie un traitement ça pourrait être la dernière fois. Même son port-à-cath (chambre implantable) ne fonctionne plus par moment, c’est problématique car ses vaisseaux sont très fins, pratiquement impossible à trouver. Sans accès, une opération n’est pas envisageable. Sa capacité pulmonaire est d’environ 25 %.
Elle est dans l’impasse, il lui reste un an à vivre, peut-être plus, peut-être moins. Pour la première fois de sa vie, elle ressent que c’est le bon moment, elle choisit la transplantation. Elle sait que ça ne la soignera pas et que ça peut mal se passer mais elle sait aussi que sans, elle ne pourra plus rien faire.

En juillet 2018 Claire ouvre un gofundme, pour la première fois elle demande qu’on l’aide financièrement. Les coûts de l’hospitalisation ne sont pas un problème, l’argent doit servir à l’année de convalescence post-greffe où elle ne pourra pas travailler. Elle récolte plus de 267k$.

Le 26 août 2018, c’est le jour de sa double transplantation des poumons. Suite à une complication chirurgicale, elle ne se réveillera jamais de son anesthésie.
Claire est décédée le 2 septembre 2018 à 21 ans.

Sujets de prédilection

Comment aborder la mort

Diagnostiquée à la naissance d’une maladie terminale, Claire a frôlé la mort à 6 reprises et a fait un arrêt cardiaque dans un ascenseur à l’hôpital (sans compter la raison de son véritable décès, un caillot sanguin). Il lui est aussi arrivé de désaturer (quand le taux de saturation en oxygène diminue dans les artères) alors qu’elle était aux toilettes, qu’elle doive se précipiter sur son inhalateur pour appeler les secours.

« La mort est inévitable. Vivre une vie dont vous êtes fier est une chose que vous pouvez contrôler »

Claire n’aimait pas les Bucket list (to do list avant de mourir), elle n’en a pas fait. Cocher des points sur une liste ne donne pas l’impression que la vie vaut la peine d’être vécue mais donner de sa personne, oui. Quand on veut simplement être heureux, ça ne nécessite que de la sérotonine, dans ce cas prenez un joint et écoutez du Bob Marley. Mais une vie qui en vaut la peine nécessite qu’on sorte de notre zone de confort pour faire des choses compliquées. Elle avait juste besoin de se sentir utile, de contribuer à la communauté, d’avoir des relations réelles avec les gens.

« La vie c’est des montagnes russes d’émotions folles, une seconde vous êtes heureux et celle d’après vous êtes désespérés et vous avez le sentiment que plus rien n’ira jamais. Ce qui importe c’est ce que vous faîtes de votre vie, la fierté de ce que vous avez accompli et ce que vous avez apporté au monde. C’est tellement plus important que votre bonheur.
Je me moque d’être malade, je ne voudrais pas être en bonne santé, je ne tente pas de me réparer, ma souffrance m’a donné tellement que je peux offrir moi-même au monde. Les gens voient la maladie comme un fléau parce qu’iels ne comprennent pas que nos difficultés peuvent aussi être un cadeau. Vos difficultés peuvent autant vous en apprendre que les miennes. La mort n’est pas la chose la plus effrayante, le pire c’est de réaliser au dernier moment que vous n’avez pas fait ce que vous vouliez faire. Utilisez vos challenges et transformez les en opportunités.Oui, la mucoviscidose tue et tuera encore mais n’importe qui peut mourir à n’importe quel moment et si ça arrive pourriez vous prétendre être satisfait de votre vie ?
Je suis sincèrement fière et satisfaite de ma vie. »

Chérissez chaque seconde avec ce que vous avez. On attend d’être en bonne santé, d’avoir une passion, de trouver l’amour avant de vivre notre vie au lieu de regarder ce qu’on a et d’en faire quelque chose.

« Vous n’aurez jamais vraiment ce que vous voulez tant que vous ne voulez pas ce que vous avez. »

Sa deuxième maison ; l’hôpital

Claire faisait 4 à 5 heures de traitements par jour, a subit plus de 35 opérations et a vécu un quart de sa vie à l’hôpital.
Elle affrime que 95 % de ses moments les plus heureux y ont eu lieu. Comme quand son père est resté une nuit à ses 13 ans pour voir ensemble la filmographie de Tarantino.

Liste des trucs sympas à l’hôpital : le room service (h24), le bouton d’appel, les courses en chaises roulantes (faut pas le dire), les distributeurs à nourriture partout, pas de couvre-feu, wifi & télé illimité, on doit pas faire son lit et nos draps sont changés tous les jours, on a pas besoin d’être présentable, de s’habiller, se maquiller ou de porter un soutien-gorge. On peut appeler les infirmières à n’importe quelle heure et elles sont obligées de nous écouter, pas de lessives, on peut porter les mêmes fringues pendant une semaine, les chambres sont en général très bien insonorisées du coup on peut écouter de la musique, on a plein de temps pour lire. Elle y a appris le piano, la langue des signes, l’espagnol (ou essayé du moins),.. On peut aussi créer des relations intenses avec les patient-e-s et les professionnel-le-s et se faire des souvenirs qui n’auraient jamais eu lieu dans le monde extérieur.

Naître malade, vivre malade

« Je crois que tout ce qui est sorti de bon dans ma vie vient de ma maladie. »

Claire a toujours dit avoir eu une vie incroyable et non pas malgré la maladie mais grâce à la maladie.

« Je suis pas là pour vous mentir, vous dire que ce n’est pas dur, c’est rude et douloureux.
L’espérance de vie est courte, j’ai vu mes parents avoir le cœur brisé et je pensais que c’était de ma faute. Vous pouvez souffrir et malgré tout ressentir toute l’humanité du monde et être heureux. Vous pouvez souffrir et faire quelque chose de votre vie. […]
Quand j’étais une petite fille, il n’y avait personne à qui je pouvais m’identifier sur la maladie et qui était inspirant. À la limite des gens avec une jambe en moins mais rien sur des personnes qui grâce à leur maladie avait contribué au monde par leur intellect. Petit à petit votre inconscient vous dit que vous n’en êtes pas capable, après tout, tout le monde est désolé pour vous et vous trouve misérable. »

Quand elle avait 8 ans, une personne de plus lui a dit être désolée pour elle, de sa situation et elle en a eu marre, elle lui a demandé à quoi ressemblait sa vie à lui ? Si il était heureux ? En réalité il s’avère que ce monsieur était extrêmement triste, sa femme venait de le quitter et il n’allait vraiment pas bien.
Être en bonne santé ne compte pas, c’est ce que vous faîtes avec la santé que vous avez qui compte, les gens n’aiment pas entendre ça et pourtant, c’est la même chose avec l’argent, ce n’est pas avoir de l’argent qui rend heureux, c’est ce que vous décidez d’en faire. À quoi bon avoir la santé, si vous n’en faîtes rien ?

« Un jour on m’a donné un livre de Stephen Hawking, j’avais 11 ans et je l’ai trouvé si cool.
J’ai lu davantage sur lui et j’ai découvert qu’il était comme moi. C’était incroyable. Ca me demandait tellement d’énergie de rester en vie, de faire mes traitements, j’avais besoin de quelque chose auquel me raccrocher, puis il y a eu le coma et la création de la fondation. On a réussi à faire hospitaliser une sans-abri qui avait la mucoviscidose et quand elle est sortie de l’hôpital elle a pu emménager dans son nouvel appartement. J’ai commencé à partager mon histoire à travers le monde et j’ai vu l’impact que je pouvais avoir. […]
Quand j’ai fêté mes 18 ans, j’étais entourée de plein de gens et ça m’a frappé, j’étais devenue cette personne par qui la petite Claire aurait été inspirée. »

Liste des choses que Claire a apprises en étant malade :

  1. Il n’y a rien de mal à demander de l’aide, à se montrer vulnérable
  2. Il n’y a pas de situation trop grave pour qu’on puisse en rire
  3. Être gentil avec les gens peut vous sauver la vie
  4. Ton corps n’a pas besoin d’être en parfait état pour fonctionner
  5. On peut faire des tours de magie : comme avaler 5 médicaments à la fois
  6. On peut prétendre être trop malade pour aller en cours et pas assez pour aller à l’hôpital
  7. On ne peut rien prédire dans la vie

Comment se comporter avec les personnes malades ?

« La mort et la maladie ont toujours fait partie de ma vie et le feront jusqu’au bout. Et avec tout ça, je vis ma meilleure vie. La vie ne s’arrête pas parce que vous êtes malade ou souffrant, elle n’est pas discriminante, elle est complexe. […] Il faut arrêter d’enseigner aux malades qu’ils ont besoin d’être en bonne santé avant de pouvoir vivre leur vie. Il faut leur apprendre à vivre avec la douleur et la souffrance. […] Les seules conversations autour des personnes malades sont « Peuvent-ils guérir? » et « Vont-ils mourir ? », et c’est tout ! Pensez au concept de « Make a Wish » (bon, j’en ai totalement profité) mais l’idée c’est de donner quelque chose à un enfant malade auquel il pourra se raccrocher. Vous connaissez les critères ? Il faut être assez malade pour avoir votre rêve, mais pas trop pour éviter que celui-ci ne vous tue. Mais réalisez-vous ce que ça apprend aux enfants malades ? Avoir un seul but et une fois qu’il est réalisé, c’est bon, vous pouvez mourir. Alors qu’on pourrait leur apprendre à faire de leur vie quelque chose de beau avec leur maladie. Qu’est-ce qu’on peut créer à partir de ça ? Parce que c’est tout ce qui compte. Quand vous regardez en arrière […] vous vous demandez ce que vous avez fait et ce que vous avez donné. Pensez aux gens incroyables dont l’histoire se souvient qui ont vécu avec d’énormes souffrances et ont pu en tirer des choses. On doit changer la façon dont on traite les maladies parce que la gamine de 6 ans que j’étais ne peux accepter qu’on lui dise qu’il y a quelque chose qui cloche quand elle est heureuse. […]
Quand vous prenez en pitié les personnes malades, vous leur enlevez leur force
.

Il faut leur apprendre à vivre leur vie en étant malade et pas les pousser à attendre que quelqu’un les réparent. Parce que vivre sainement et être bien, n’a rien à voir avec le fait qu’ils ne soient pas malades, il faut changer la vision des malades chroniques dans la société. »

« Grandir avec une maladie est un challenge mais ça ne l’est pas comme vous le pensez. »

Résumé des conseils de Claire pour intéragir avec une personne malade :

  • Vous pouvez nous aborder pour demander de quoi on souffre mais allez droit au but.
  • Ne dîtes pas aux malades que leur vie est horrible mais qu’elle est belle et complexe.
  • Ne nous dîtes pas quoi faire, vous n’êtes pas notre médecin.
  • N’amenez pas le sujet de l’espérance de vie sur le tapis, cela peut être un sujet sensible.
  • Être malade chronique ce n’est pas juste aller plus souvent chez le médecin, c’est un boulot à plein temps.
  • Attendez-vous à nous voir heureux, même si on est malade, on a autant d’expériences de vie et de moments de joie que n’importe qui d’autres.

Les proches de Claire continuaient de lui parler quand elle toussait, ce qui choquait les passants qui croyaient qu’elle était en train de mourir. Mais quand on tousse toutes les 5 minutes, on n’a pas envie que les gens s’arrêtent pour si peu. Quand Claire s’est réveillée du coma sa petite sœur lui a dit « Oh mince, j’aurais pas ton ipod ». Cette même sœur a pu apprécier les derniers mois avec Claire quand sa maladie gagnait du terrain car elle voyait bien qu’elle était elle-même et ne le cachait pas son état. Son père a affirmé qu’il n’échangerait jamais la fille qu’il a pour la même en bonne santé ; « J’ai eu cette expérience de père remarquable grâce à Claire en la voyant se transformer en une adulte merveilleuse et généreuse. »

Bonus & anecdotes

Ses contributions cinématographiques

Claire a suivi la série « Red band society » et a critiqué les épisodes sur youtube un à un à leur sortie, en commentant la crédibilité des dialogues, des décors, des jeux d’acteurs, etc. Elle a si bien fait ça qu’elle a été invitée sur le plateau de la série avant la fin du tournage et elle fait une apparition dans le dernier épisode.

Claire a inspiré le film « Five Feet Apart » et elle en était la référence médicale.

Leçon d’amour corporelle par Claire.

« On a pas trop le temps de se préoccuper de ce à quoi on ressemble quand on est en train de mourir, blanc comme un linge et couvert de cicatrices dues aux opérations. Être dans un corps qui fonctionne mal lui a au contraire permis de l’apprécier vu le nombre de fois où elle s’est demandée comment il pouvait encore être en vie. Nos corps ne sont pas là pour être beau mais pour être des œuvres d’art, cet art vous permet de penser, de ressentir et c’est exactement ce que fait votre corps. Peu importe les marques qu’il porte, ça ne le rend pas moins exceptionnel. »

Claire pouvait commencer une vidéo par « So… I’m dying » en étant rayonnante.
Elle justifiait toujours sa toux avec humour : « Boule de poils », « Grosse allergie aujourd’hui » ou encore « J’ai inhalé une frite ». Elle accrochait des moustaches à son oxygène, expliquait comme c’était pénible quand quelqu’un marchait sur le tube mais elle le prêtait volontiers à celleux qui voulaient l’essayer.
Elle s’est échappée de l’hôpital une fois pour rencontrer Bernie Sanders qui était de passage à Los Angeles.

Elle avait aussi dressé une liste des bons côtés de la maladie disant que chaque mini-fait était un accomplissement, ne serait-ce qu’un jour de plus sur terre. Elle se vantait de pouvoir sortir de n’importe quelle situation gênante en toussant et de pouvoir écourter les réunions de famille sans explication.

Dans une vidéo elle interroge sa maman sur ce que ça fait d’avoir un enfant mourant.
Elle souhaitait raconter toutes les étapes de sa transplantation des poumons.
Elle plaisantait sur le fait qu’elle voulait juste aller golfer une fois avant de mourir, c’était pas grand chose.

Claire mettait en avant le fait qu’elle ne souffrait pas nécessairement plus qu’une autre personne, ne connaissant pas l’histoire des gens mais elle était certaine qu’on ressentait tous les mêmes sentiments en tant qu’êtres humains.

« Après la mort, tu deviens plus proche de tout car tu es un peu partout à la fois. »

Aujourd’hui, j’espère vous avoir rapproché de Claire.

Si vous êtes encore là, je vous conseille vivement de regarder 2 minutes de ce documentaire (le timing est préparé). Et si vous en voulez encore, n’hésitez pas à le visionner en entier.

Sans titre.

Comme vous le savez probablement, je suis malade chronique et tente de militer et sensibiliser autour du handicap, des maladies chroniques et particulièrement des maladies dites « invisibles ». Lundi, j’ai réussi, après deux ans d’errance médicale à décrocher un deuxième diagnostic de maladie chronique et c’était un jour heureux, une réelle victoire.
En bref, en plus de ma sclérose en plaques, je suis aussi atteint de dysautonomie. Une dysautonomie c’est un dérèglement du système nerveux autonome, ce système s’occupe de tous ce que votre corps fait naturellement pour vous : respirer, faire battre votre cœur, digérer, transpirer, la vision, réguler votre tension ou votre température, etc. Le diagnostic est extrêmement compliqué car on ne connaît pas comment ce système fonctionne à l’heure actuelle mais une fois qu’il est atteint, plus rien ne va.

Alors que ma sclérose en plaques étaient enfin sous contrôle il y a deux ans, je me suis retrouvé avec des dizaines de symptômes plus invivables les uns que les autres qui ne semblaient pas liés à ma première pathologie (ou du moins pas tous). Malgré mes plaintes, on ne m’a pas proposé de faire d’examens pour investiguer même si il semblait clair qu’il y avait quelque chose. J’ai moi aussi nié ce qui m’arrivait en mettant tout sur le dos de ma première pathologie, c’était bien plus facile. Les mois passaient, mon état empirait, l’équipe soignante commençait à s’inquiéter de mes constantes à chaque visite. J’ai continué à en parler à mon spécialiste qui maintenait que ça ne collait pas à ma maladie alors j’ai fini par chercher moi-même. J’ai lu de nombreuses thèses et articles scientifiques puis je suis arrivé à une hypothèse diagnostique et je l’ai soumise à mon médecin. Il y était favorable également (j’ai la chance d’avoir un spécialiste ouvert d’esprit) mais il ne savait pas comment aller plus loin. On s’est finalement lancé avec l’aide du service de cardiologie à la recherche de cette fameuse cause et même si l’équipe prétendait connaître cette pathologie, ça n’a rien donné.

Durant cette période j’ai eu d’énormes moments de doutes, d’exaspération envers le corps médical, et un bon gros sentiment d’injustice. Savoir de quoi on souffre et ne pas pouvoir avoir gain de cause, c’est terriblement frustrant. Pour contrer ce sentiment, je me suis replongé dans la communauté handi du web, je follow énormément d’autres malades chroniques sur youtube et c’est réconfortant. Quand vous êtes un-e abonné-e assidu-e de vidéastes avec des maladies invisibles, au fil des vidéos vous apprenez à reconnaître certaines expressions du visage, certains signes de fatigue chronique intense. Ce qui est invisible devient visible et vous vous sentez proche de ces gens, vous comprenez cette souffrance que personne ne peut voir en vous regardant, en les regardant mais vous, vous savez. Ces personnes m’ont aidé à savoir en quoi consistait les tests médicaux que j’allais devoir faire, m’ont aidé à me rappeler à ne rien oublier dans ce que je devais rapporter au médecin mais surtout elles m’ont aidé à m’apaiser, à me sentir compris et ce depuis des années. Parmi ces précieuses personnes, il y a Jaquie Beckwith de la chaîne « Chronically Jaquie » (avec 135k d’abonné-e-s), Jaquie avait un syndrome d’Elhers Danlos, un syndrome d’activation mastocytaire, une gastroparésie et une dysautonomie (elle souffrait également d’asthme, de migraines, de narcolepsie, d’immunodéficience, de soucis génétiques, …). Jaquie a énormément apporté à la communauté, elle militait et vloguait tous les jours auparavant sur sa santé, sur son chien d’aide, sur les dispositifs médicaux, les traitements et bien d’autres encore. Elle avait décidé il y a quelques mois de réduire la cadence de ses vlogs car le rythme était trop soutenu pour son état de santé.

Grâce à ces personnes, je me suis accroché, j’ai rassemblé mes forces pour demander un deuxième avis dans une autre ville.

Le 29 avril, le jour où j’ai enfin eu mon diagnostic de dysautonomie était un grand jour, un jour que je n’oublierais pas car ce jour là est aussi le jour où Jaquie s’en est allée. Jaquie est décédée suite à une hernie intestinale, elle avait 23 ans. Aujourd’hui je voulais lui rendre hommage et quelle que soit votre situation, ne désespérez pas, il peut y avoir quelqu’un de l’autre côté du globe qui vous comprend, c’est aussi ça la beauté de notre monde, connecter les gens. Prenez soin de vous.

Pourquoi suivre des malades chroniques ou des personnes en situation de handicap ?

Il y a un moment déjà que je souhaite aborder ce point, lors d’un de mes traitements en hôpital de jour j’avais amené le sujet à une de mes infirmières qui avaient complètement bloqué à l’idée que ça puisse me faire du bien de m’entourer d’autres personnes malades. Bien que j’ai essayé d’expliquer les choses, je pense m’être assez mal débrouillé et je tiens à retenter l’expérience.

1. C’est un soutien moral considérable

Que la déprime vous touche ou non, quand on est atteint de certaines maladies, même en étant entouré-e on peut se sentir extrêmement seul-e face à la douleur, à la fatigue ou autres.
Suivre des personnes qui font face à des symptômes similaires va dans mon cas avoir un « effet cocon » même sans communiquer avec la personne en question, je vais me sentir compris.

> Se reposer, ça n’est pas ne rien faire – Vivre Avec

Cela s’applique aussi je pense aux proches et parents qui ont des enfants en situation de handicap et qui sont franchement pas aussi soutenu qu’il le faudrait en grande majorité. Trouver des témoignages de personnes vivant la même chose est précieux. Par contre, je vais éviter de les référencer parce que je suis pas fan des mineur-e-s affiché-e-s sur le net sans leur consentement.

2. C’est un contenu très éducatif

*Au niveau de la sensibilisation à l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, vous pourrez non seulement prendre conscience des obstacles et apprendre comment en surmonter.

Quelques exemples :

> Des (vrais) sous-titres pour les sourds ! – MélanieDeaf

> How I use technology as a blind person ! – Molly Burke

*Au niveau des patients « experts », on peut y apprendre leur routine et gestes médicaux qui peuvent grandement aider un-e néophyte devant gérer les mêmes soins (ça ne veut pas dire qu’on s’abstient d’un suivi médical mais ça aide de pouvoir échanger avec des personnes plus expérimentées et virer un tabou). –Attention, âme sensible s’abstenir.-

> How to place an NG Tube – Amy Lee Fisher

> How to change Ostomy Bag, Tips & Tricks – Ostomy Girl

> How to access your own port-a-cath – The Frey Life

> Changing my feeding tube button at home ! – The Frey Life

3. Cela permet d’échanger et d’être conseillé

On a parfois besoin de poser des questions, de savoir comment gérer ses proches, comment préparer un rendez-vous médical. On a envie de savoir comment les autres arrivent à compiler études/boulot et rendez-vous médicaux quand c’est encore possible. C’est pas commun de croiser quelqu’un qui vit la même chose que nous quand notre état limite nos sorties mais heureusement avec la technologie actuelle on a la chance de pouvoir se rencontrer virtuellement et d’échanger.

> 9 façons de réduire la douleur – Vivre Avec

C’est pour toutes ses raisons qu’à l’avenir, en plus de l’index, j’espère pouvoir vous partager plus en détails quelques unes de mes découvertes et des belles âmes que j’ai pu croiser.

Parcours

Quand j’ai décidé de me lancer en médecine sur un coup de tête à 23 ans, un gars a dit à une amie (deux ans plus jeune) qui reprenait les études également qu’elle avait « raté sa vie ».
Que vous partagiez ou non cette mentalité, je pense que mon parcours peut vous faire réfléchir.

En entrant au collège, très rapidement j’ai eu des problèmes avec les autres élèves. Après quatre ans de galère j’ai laissé tomber, je suis passé de l’enseignement général en « langues étrangères et sciences fortes » à un lycée technique en « infographie ». C’était avant tout un hobby, jamais l’idée d’en faire mon métier ne m’avait fait envie. Une fois le lycée touchant à sa fin, j’ignorais totalement quoi faire mais je voulais aller à l’université. J’avais monté dans le dos de mes parents un dossier pour partir en immersion en Asie après ma terminale, ce qui me laissait un an de plus pour y penser. J’ai eu mon diplôme, raté ma qualification et me suis envolé pour le Japon.

Sur la fin de mon échange, j’ai en partie perdu l’usage d’une de mes jambes pendant un peu plus d’un mois. Dans ma famille on aime pas trop les médecins, alors on a pas consulté. Et c’est passé.

Après mon retour, vu que j’avais un penchant pour les langues, j’ai opté pour la japanologie. Sauf qu’en Belgique, ce cursus n’existe qu’en Flandre, j’ai donc étudié le flamand tout l’été. Suite au conflit politique entre les deux régions, mon inscription à l’université a été refusée. Pris de court, je me suis lancé dans des études de « 3D » que j’ai abandonnées quelques mois plus tard.

Un peu par hasard, j’ai trouvé ma voie ; travailler sur des tournages. Chaque film est un mini-contrat dans des lieux différents, avec des gens différents, on travaille de nuit et les jours fériés. On oublie le monde réel. Je me suis présenté au concours d’entrée d’une école de cinéma en « scripte/montage » où seulement dix élèves sont pris par année. Je suis arrivé dixième mais cette année là, seulement neuf étudiants ont été retenus.

Après un an de bénévolat dans le milieu, j’ai re-présenté les épreuves, tous les profs étaient contents de me revoir, sauf une et j’ai à nouveau été recalé. Pas grave, j’avais même plus envie de faire d’études, j’allais me former sur le tas.

Entre temps, mon état de santé s’est dégradé mais bien plus fort que la première fois, résumé en ;
Généraliste → IRMs → Neurologue → Hospitalisation, ponction lombaire, potentiels évoqués, scan
→ Verdict : sclérose en plaques (déclarée à l’âge de 19 ans).
L’acceptation a été simple, ma sœur étant handicapée de naissance, pourquoi pas moi ?

Mon premier traitement de fond (visant à retarder la progression du handicap) consistait en des injections quotidiennes. Donc quand j’étais en tournage pour un film, je mettais mes dizaines de seringues au frigo et chaque matin, je me piquais devant les personnes partageant ma chambre.

En 2-3 ans, j’avais percé, j’avais mes contacts dans le milieu, un taff de rêve. Je suis retourné au Japon pendant plusieurs mois pour y faire un film. J’ai ensuite refusé un tournage avec Dujardin pour me concentrer sur l’obtention de mon permis de conduire.

Avec le recul, j’ai réalisé que mon corps ne tenait pas le rythme. L’équipe technique subit un stress énorme. On dort très peu, on a pas de jour de repos, le travail se finit dans la bière, on a pas le temps de manger, alors on boit du café, on fume et on finit alcolo (GROS cliché, pardon).
Il fallait que j’arrête et étant satisfait du dernier film tourné, j’ai tout plaqué pour me réorienter.

Ma maladie était devenue de plus en plus présente puisque comme prévu, mon état se dégradait. Plus le temps passait moins j’aimais les hôpitaux. J’ai donc décidé d’en faire mon lieu de travail pour banaliser cet environnement et nourrir la curiosité que j’avais développé pour la médecine.

J’ai commencé mes études supérieures avec des lacunes énormes en sciences et des troubles cognitifs prononcés (troubles de l’attention, de la mémorisation, …) liés à ma pathologie.
Lors de ma première année, on m’a appelé pour d’autres tournages (Japon, …) auxquels j’ai dû renoncer. J’ai finalement doublé et validé mon concours. Sans avoir jamais cru en moi.

Mes études m’ont aidé à résorber en partie mes troubles cognitifs. Mais beaucoup d’autres de mes capacités diminuent (sensibilité, coordination, motricité, proprioception …). Petit à petit, je n’ai plus été physiquement capable d’aller en cours, je fais partie de ces étudiants que vous croiserez trois fois par an à la fac, présent uniquement en TD obligatoires et aux examens. L’hôpital est devenu ma deuxième maison, je m’y sens à ma place. Les stages me permettent de changer de rôle et d’être celui qui prend soin, qui écoute, qui soulage. C’est là que je suis confiant, car en tant que malade chronique, je peux comprendre les obstacles et les adaptations nécessaires aux patients qui me ressemblent.

En entrant en médecine, j’ai croisé d’autres personnes plus âgées que la moyenne, qui avaient été pompier, pharmacien ou commerçant durant de nombreuses années avant d’entamer ce cursus. Il n’y a pas d’âge pour se réorienter et il y a des tas de raisons de le faire. Même si vous pensez ne désirer qu’une seule chose, il n’y a pas qu’une voie pour y parvenir et vous pouvez à tout moment de votre vie vous découvrir d’autres vocations.

À mes yeux, aucun de nous n’a raté sa vie. Nous l’affrontons et parfois, celle-ci nous dit qu’il est temps de changer de direction. Ne voyez pas cela comme une fin, c’est le début de quelque chose de nouveau. N’ayez pas peur de l’inconnu ou de l’échec, ils sont formateurs eux aussi.

Gardez espoir, battez-vous et prenez soin de vous.

La foi des thérapeutiques?

Certain-e-s sont doté-e-s d’une foi aveugle mais le sujet de ces croyances varie. Peut-être que vous avez hérité de celles de votre entourage, peut-être vous êtes vous forgé votre opinion par vos expériences, vos lectures, vos échanges, etc.

Quand on est atteint-e d’une maladie chronique, il y a presque toujours de bonnes âmes pour vous soumettre des articles sur des méthodes miracles censées vous soulager ou même vous guérir. L’internet grouille aussi de ce genre de propositions généreuses, pas toujours gratuites, parce qu’il est bien connu que si ça vaut des sous, les résultats sont meilleurs (FAUX!). Comme toujours, qu’importe le contexte, des gens cherchent à faire du profit.

Avoir une foi aveugle en la science n’est pas une bonne idée, renseignez-vous.
Les firmes pharmaceutiques sont une industrie. Si la recherche avance dans un domaine médical, c’est généralement parce que la pathologie en question coûte plus d’argent à la société si elle n’est pas prise en charge en fonction des incapacités engendrées et du nombre de personnes touchées. Au grand désarroi des maladies orphelines (moins d’1/2000 personnes). Les traitements médicaux n’ont jamais été et ne seront probablement jamais irréprochables, cela ne signifie pas qu’il faut les éviter comme la peste, l’important est d’évaluer la balance bénéfices/risques. Et d’assumer son choix au long terme.

Il en va de même pour toutes les autres méthodes, qu’elles soient dites alternatives, naturelles, novatrices, le principal est d’être en accord avec soi-même. L’ouverture d’esprit, la curiosité ou la recherche d’un quotidien un peu plus tendre peut vous pousser à essayer de nouvelles choses. Que ce soit l’homéopathie, les huiles essentielles, les interférences, la relaxation, la troisième médecine (= l’alimentation) ou même le dessin. Il n’y a pas de liste exhaustive de tout ce que l’on peut tenter pour se faire du bien. Essayer n’est pas une mauvaise chose, loin de là et si vous êtes convaincu-e-s, tant mieux. Malgré nos convictions, il faut savoir respecter les croyances des autres et éviter de devenir un prophète de notre propre religion.

Pourquoi?

Ce n’est pas parce que vos médecins n’ont pas modifié leur façon de se nourrir comme vous qu’iels ne sont pas compétent-e-s. On est pas tous-tes amené-e-s à se poser les mêmes questions et encore moins au même moment. L’important n’est pas que les gens que vous fréquentez partagent votre avis sur l’acupuncture mais qu’iels respectent le vôtre et vice-versa.

Si un jour, il y a des partages sur ce site, ce n’est pas par conviction mais dans un esprit d’échanges et d’ouverture.