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Soins palliatifs

Un service particulier

Le service est difficile à trouver, il est entouré d’un jardin rempli de fleurs et d’herbes folles. L’unique couloir est décoré par des cadres, des origamis et des rubans colorés, on dirait presque qu’on y célèbre un anniversaire. Le personnel a également appris à faire des bouquets pour que ceux-ci soient toujours frais, certaines ont cousu des caches pour les poches à urines et des châles en essuies de bain. Les heures de visites sont élargies et les proches peuvent dormir sur place sous certaines conditions.

On n’y prend pas les paramètres des patients, la saturation, la tension artérielle, le rythme cardiaque, tout cela n’a plus d’importance ici.
Les patient-e-s peuvent manger et boire si iels le souhaitent mais ça ne leur est pas imposé. Tous les traitements non essentielles sont arrêtés. On ne donnera donc pas d’alimentation par sonde, pas d’hydratation i.v. (max 250 mL de NaCl en perfusion), pas de glucose. Des antibiotiques peuvent encore être donné mais ils se font rares. Pas de vitamines ou autres traitements pour combler des carences. Pas de transfusion. Pas de prise de sang ni d’imagerie. L’oxygène ne sera donné qu’en cas de dyspnée rapportée par le/a patient-e et non en cas de désaturation, c’est le ressenti qui prime.

Bien entendu, les soins de plaies, les toilettes et une visite quotidienne du médecin continuent d’avoir lieu. Mais pas de réelle anamnèse et surtout pas d’examen clinique sans plainte.

Lorsqu’un médecin va voir un-e patient-e, c’est toujours accompagné-e de son infirmière référente. On ne se rend pas seul-e en chambre. Ainsi, si une discussion éprouvante pour le/a malade est initiée, tout le monde est à jour.

En deux mots: confort et dignité.

Autrement dit, pas d’acharnement.

Officiellement, quelqu’un qui entre en soins palliatifs à une espérance de vie de 3 mois tout au plus mais puisque la fin de vie est loin d’être une science exacte, certain-e-s patient-e-s resteront parfois le double voire le triple de ce temps dans le service. D’autres n’y passeront pas 24h car déjà loin dans le processus avant leur arrivée. Leur transfert peut-être dû à la dégradation de leur état général à domicile, dans un autre service de l’hôpital ou dans une maison de repos. La demande peut donc venir du patient, de ses aidants dépassés, de son médecin ou d’une institution.

Protocole de confort, protocole de détresse & sédation

  • Le protocole de confort concerne majoritairement la prise en charge de l’agitation, des douleurs et de l’anxiété de patient-e en fin de vie.
  • Le protocole de détresse concerne une situation aiguë (grave) à risque vital immédiat. Par exemple, si un-e patient-e avec une atteinte pulmonaire se met à s’étouffer.
  • La sédation palliative, quant à elle, peut se voir par exemple dans des cas ou le protocole de détresse ou de confort ne suffirait pas. Le médecin finira par endormir le patient, c’est un des derniers recours possibles face à des symptômes réfractaires face aux autres prises en charge. Ce n’est pas une décision à prendre à la légère car même si le patient peut encore être réveillable techniquement, il n’est pas souhaitable de revenir en arrière en levant la sédation car les symptômes ayant mené à cette décision ne se résorberont jamais spontanément. La sédation palliative peut être très compliquée à vivre pour les proches car cela peut durer des semaines et plus aucun contact n’est possible avec le/a patient-e.

Globalement, pour les trois situations, les traitements sont les mêmes.
Il s’agit de sédatifs et d’antalgiques, simplement, les dosages varient.

Euthanasie, démêler le vrai du faux

Que ce soit les pro- ou les anti-, beaucoup de gens se trompent sur l’euthanasie.
Il ne s’agit ni de « mourir à la carte » quand on le souhaite, ni d’une « pratique eugéniste » visant à se débarrasser des plus faibles. Il faut également arrêter de confondre euthanasie et « suicide assisté » car il ne s’agit pas du même acte, les conditions et la procédure sont totalement différentes.

En Belgique, on pratique l’euthanasie.
Elle a été dépénalisée en 2002 pour les adultes et en 2014 pour les mineurs.

Enfin, « on pratique », la réalité du terrain c’est que extrêmement peu de médecins acceptent de faire cet acte, très peu même acceptent de donner un second avis dans le cadre d’une demande d’euthanasie ou ne sont pas qualifiés / formés pour le faire. Pire encore, même dans le cas d’un refus, les praticiens ont l’obligation de rediriger vers un-e collègue qui pourra donner suite à la demande et même ça n’est pas respecté. Certaines unités palliatives belges ne pratiquent pas l’euthanasie, un comble. Donc en plus de remplir les conditions légales, les patient-e-s doivent se battre pour faire valoir leur droit.

Demande anticipée

Souvent confondue avec la demande active, finalement il s’agit d’une simple demande préventive de non acharnement thérapeutique. Imaginons que vous vous mangez un sapin en faisant du ski vous mettant dans le coma sans retour possible. Les conditions sont les suivantes:

  • être incapable d’exprimer sa demande car inconscient(e) de manière irréversible
  • être dans une situation médicale réunissant les conditions fixées par la loi
  • avoir rédigé une déclaration anticipée endéans les 5 ans suivant le modèle prévu par la loi (deux témoins obligatoires, …)

Demande active

  • être conscient
  • capable d’exprimer sa demande
  • dans une situation médicale réunissant les conditions fixées par la loi (situation médicale sans issue et souffrance physique et/ou psychique constante, insupportable et inapaisable résultant d’une affection accidentelle ou pathologique grave ou incurable)

Quand on parle d’euthanasie, c’est bien de la demande active / actuelle. Ce sont majoritairement des malades en phase terminale qu’il s’agisse de cancers, de maladies pulmonaires, cardiaques, neurodégénératives ou autres. Mais même en phase terminale, on fait la distinction entre les personnes mourantes à court terme et celles dont la mort est imminente. Et ce point est crucial car il est également pris en compte dans les démarches d’une euthanasie.

  • Pour une euthanasie à brève échéance, il ne faut que deux avis médicaux. Un premier avis étant celui du médecin qui pratiquera l’acte et un deuxième avis d’un médecin indépendant. Il n’y a pas de délai minimum donc l’acte peut être fait très rapidement, l’intérêt est en effet d’écourter l’agonie inexorable à laquelle la personne est exposé dans l’immédiat.
  • Pour une euthanasie qui n’est pas à brève échéance, il faudra au minimum attendre un mois entre la formulation de la demande et l’acte et cela nécessitera trois avis médicaux. En général, le premier avis vient du médecin qui fera l’acte, un deuxième avis provient d’un psychiatre et un troisième avis provient d’un médecin spécialisé dans la pathologie dont le/a patient-e souffre.
    Petite anecdote, le 2ème et le 3ème avis ont beau être impératifs, ils ne doivent pas forcément être favorables. Donc, même si l’un des avis est négatif, l’euthanasie peut se faire.

L’euthanasie est un acte médical, irréversible et lourd à porter, pour des soignant-e-s, cela n’a rien d’anodin. C’est un ultime geste d’humanité pour soulager le/a patient-e qui en fait la demande.
Une euthanasie nécessite impérativement qu’un lien thérapeutique existe avec le malade, que vous le/a suiviez et connaissiez son cas. Vous devez être conscient-e de son état, de son parcours de soin, de ses relations avec ses proches et bien d’autres. Déjà, ça vous permet d’être en accord avec le geste mais il vous faut également tout justifier à la CFCEE (Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie); « nature et description de la souffrance constante et insupportable », « raisons pour lesquelles la souffrance est inapaisable », « éléments permettant de s’assurer que la demande était volontaire, réfléchie, répétée et sans pression extérieure », …
Personne ne pratique un tel geste sur un coup de tête pour rendre service et en restant de marbre.
On a beau savoir que ce que l’on fait est juste, cela nous touche. Répondre à toutes les demandes justifiées n’est pas possible et c’est pourquoi je souhaite avoir la force de pratiquer cet acte.

C’est aussi pour les raisons énoncées précédemment qu’il est très difficile d’accéder aux demandes d’euthanasie des étrangers. Déjà, toutes les unités la pratiquant ne sont pas ouvertes aux non résidents. Les demandes à brève échéance sont impossibles puisque le lien thérapeutique est inexistant de prime abord. Il faut donc envisager de venir régulièrement en consultation loin de chez vous ou être prêt à déménager en Belgique. En effet, débarquer après avoir vendu tous vos biens devant un service belge de soins palliatifs ne vous y donnera pas accès (oui, ça s’est déjà vu).
Gardez les pieds sur terre, vous n’êtes pas en train de commander une pizza au self.

Répliques de patient-e-s

Si le fil de la bobine est terminé, on ne peut plus coudre. 
- A bientôt Monsieur.
- Ah non, pas « à bientôt Monsieur ». Je viens pour mourir.
Dans le service précédent, j'attendais parfois 1h30 pour 
qu'on réponde à la sonnette, ici vous êtes à mon chevet en 
moins de 10 minutes. Parfois quand je me réveille, j'ouvre 
les yeux et vous êtes là. Il faut que je m'y fasse.

Conclusion

Merci.

Ce sont les mots que l’on retient lorsqu’un proche en deuil vient nous apporter des chocolats ou lorsqu’un-e patient-e nous dit que pour la première fois depuis des années, iel n’a plus mal.

Le plus dur en soins palliatifs, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas de voir partir les patients mais bien de dire au revoir aux vivants.
Quand le stage touche à sa fin et qu’on ignore comment l’histoire se termine.

Vous me manquez déjà.

Première vague

Est-ce qu’il y a quelques mois vous auriez pu croire devoir assister à des funérailles via Zoom ?
Est-ce que vous auriez pensé amener un proche aux urgences, devoir rester dans la voiture et qu’on vienne vous trouver une heure plus tard pour vous dire qu’on avait rien pu faire ?
Est-ce que vous auriez cru que c’était un privilège de vous laisser approcher son corps sans vie ?
Maintenant, toutes ces situations sont bien réelles.

Ce qui m’a le plus marqué durant cette première vague, je pense, c’est ce sixième sens relatif induit par la férocité du virus faisant qu’à chaque admission il me semblait évident si le patient allait vivre ou mourir. Cela n’avait jamais été aussi limpide, dès que je souhaitais prendre de leur nouvelle en espérant me donner tort, je lisais la dernière note écrite.
Au mieux, j’avais droit à un : « Positif au SARS-CoV2 »
Patiente suivante: « Retrouvée décédée dans sa chambre ce jour, famille contactée. »
Patient suivant: « Fils d’accord pour l’autopsie. »

Certains patients n’avaient même pas le temps de quitter le service d’urgences en vie. Je repense à ce monsieur, en grande forme pour son âge, aucun antécédent, proche d’être centenaire mais qui ne les atteindra pas car il respire à près de 40/min. Il entend parler de son statut et lance au personnel un regard de défi. Sans un mot, il montre le moniteur affichant ses constantes vitales l’air de dire :
« Eh! Je suis toujours en vie ! Je vais pas me laisser bouffer par cette merde, vous verrez ! ».
Et bordel qu’est-ce que je voudrais y croire autant que lui.

Puis il y a ceux qui sont jeunes mais malades présentant de multiples défaillances d’organes et dont la saturation en oxygène descend à chaque battement de cœur, j’ai tellement peur pour eux. Iels se présentent à l’hôpital en pensant qu’on va pouvoir les aider alors qu’on regarde le moniteur qui clignote et bipe de plus en plus bruyamment, on sait que ces patients n’ont droit à aucune visite, ont un « statut » depuis longtemps interdisant un passage par les soins intensifs, l’intubation et la réanimation.

Quand je sens qu’un patient va mourir, la seule chose qui me vient à l’esprit c’est de le rejoindre en chambre pour lui tenir la main. Mais qui veut mourir aux côtés d’un inconnu déguisé en un croisement entre un canard et un astronaute ? Puis il y a le manque de matériel, la culpabilité m’envahit déjà, j’essaye de limiter mes entrées en chambre pour préserver les gants, les combinaisons, etc. C’est certain que ce patient va mourir mais combien d’autres décéderont avant ? Qui aura droit à ma compagnie, aussi médiocre soit-elle ? Qui en a besoin ? Qui en a envie ?

Depuis le début, on reçoit énormément de patient-e-s provenant de maisons de repos par ambulance sans motif / explication, ce sont des patients trop confus pour nous expliquer pourquoi ils sont là. On se sait même pas si la confusion est aiguë ou chronique, c’est absurde.
Des sutures sont faites dans des conditions d’hygiène douteuses car la seule chose à laquelle on nous demande de penser c’est de trancher entre covid «+» et covid «».

Le téléphone sonne régulièrement « Je vous appelle pour savoir si j’ai le covid » en pleine nuit, 25 ans, pas d’antécédent. Autre appel, le patient est embêté, son employeur exige un certificat de non contagiosité pour pouvoir reprendre le travail, ça n’existe pas.
Certains se présentent aux urgences pour exiger un scanner ou un frottis alors qu’ils vont bien, allant jusqu’à appeler la police pour « non assistance à personne en danger » quand on leur refuse.

En dehors de patient-e-s touché-e-s par le virus, on reçoit (en moins grand nombre) les classiques: malades chroniques, hypocondriaques, psy, infarctus, tentatives de suicide et objets dans le rectum.

Parfois on retrouve un peu de légèreté en lisant un motif de consultation :
« S’est tapé le doigt avec un marteau ».
Seul antécédent : « Main versus tronçonneuse ».
Alors on sourit, un peu.

Au niveau du personnel, c’est très tendu. Une dame de l’entretien pleure dans le couloir, on lui a dit qu’elle « gâchait » des tenues d’isolement avec ses problèmes de peau. Certain-e-s se laissent bouffer par l’angoisse que génère les médias et les réseaux sociaux. D’autres sont en colère et se plaignent de devoir travailler dans des conditions inacceptables pour leur propre sécurité. On ne peut certes pas leur donner tort mais où vont-iels chercher cette énergie pour taper un scandale ? C’est tellement évident qu’on a rien, chaque semaine le matériel est moins sécure que celui de la précédente et pourtant bien mieux que celui de certains pays voisins. Bien sûr c’est inacceptable; mais je n’ai même pas la force de m’en étonner.

Les étudiants volontaires se battent également pour tenter de sauver leur mémoire, leur examens et leur diplôme sans aucune garantie de la part des facultés. Certain-e-s appellent au boycott quand d’autres viennent assurer les permanences avec des agrafes dans la tête et une suspicion de commotion cérébrale. Et progressivement, suite à l’absence de masque et les rassemblements quotidiens, tous ces étudiants présentent des symptômes.

La nuit, c’est plus calme. On se retrouve dans la cuisine à gratter le fond du frigo, on partage les vidéos de GuiHome sur le coronavirus, tout le monde rigole de bon cœur, enfin un peu de répit.
On se raconte nos vies, nos divorces, on s’échange les photos de nos enfants, et les anecdotes pour les placer durant la crise. Personne ne semble en vouloir parce qu’on est soignant. On se fait rêver mutuellement en racontant nos anciennes escapades et nos projets avortés, des vacances aux voyages humanitaires en passant par les maladies parasitaires, on ne voit pas les heures défiler.

De l’intérieur de l’hôpital, on n’entend pas d’applaudissement mais on apprécie tous les gestes. Tous ces restaurants qui nous ont livrés des plats délicieux avec des mots d’encouragements accrochés à chaque portion, vous nous avez réellement donné de la force.
Dans ce contexte, chaque boisson partagée, chaque conversation, chaque rencontre était belle et généreuse.

Une fois de plus, je quitte l’hôpital, j’ignore quel jour on est. Je rentre chez moi après une garde de nuit, fatigué mais heureux.
Aujourd’hui j’ai appris qu’on avait extubé un des nombreux médecins hospitalisés en soins intensifs.

L’espoir renaît.

En attendant le corona

Au départ, de l’Occident, on suivait tout cela de loin quand le SARS-CoV-2 a fait son apparition à Wuhan.
Les vols étaient surveillés, les personnes suspectes étaient soumises à des contrôles et mises en isolement.
Puis l’Italie a été touchée et c’est parti en Chocapic pour l’Europe.

Début mars 2020, je commence un stage dans un hôpital de Bruxelles, on est directement briefé sur la situation de l’épidémie et l’objectif des mesures prises par la direction (le fameux « flattening the curve » que vous verrez partout dans les médias quelques semaines plus tard). Bien sûr, on nous rabâche sur les règles d’hygiène. Cela fait un moment qu’on entend parler de vol de masque et de gel hydroalcoolique en France mais au premier jour, tout semble normal chez nous. Comme d’habitude, les assistant-e-s (= internes pour les français-es) sont débordé-e-s. On va avoir du mal à trouver notre place dans cette équipe, nous les internes (=externes en pour les français-es) sommes en trop grand nombre dans ce service, ça n’aide pas.

Au deuxième jour, on remarque déjà des changements, les masques sont maintenant cachés dans des pièces réservées au personnel et les stocks ont été repris par la direction, on rationne leur usage, maximum 1/jour/personne, on nous encourage même à le garder davantage, ce qu’on finira tous-te-s par faire. Les pots de gel hydroalcooliques normalement disposés à l’entrée de chaque chambre ont été divisé par deux et ils sont maintenant colsonnés à leur support. Le message est clair.
En dehors de ça, tout est normal. Enfin, ça s’est ce qu’on croyait.

La semaine d’après, une rumeur court; un de nos patients est décédé, il a été testé post-mortem, il serait positif au covid-19. Bien sûr, pratiquement la moitié du service avait été en contact direct avec lui sans aucune protection. Pas même un masque chirurgical, on ne les utilisait encore que pour les isolements à ce moment. Je me souvenais bien de ce monsieur, je l’avais moi-même piqué et il me paraissait vraiment en bout de course.
Ma première réaction c’est la colère. Pourquoi ce bruit court, pourquoi ne nous a-t-on rien dit en face ? Où sont les mesures qu’on s’attend à voir ? Je suis perdu. La veille, j’ai vu énormément de patients fragiles sans protection parce que cette partie de l’hôpital n’en disposait pas. Et si j’étais porteur ? Toutes ces personnes que j’ai tenté de rassurer qui étaient pour certaines venues avec un masque et qui l’avait retiré face à un professionnel de santé. Allaient-elles mourir à cause de moi ?

Finalement, l’info étant confirmée, une feuille a circulé pour avoir nos coordonnées, une secrétaire nous a appelé pour vérifier si on avait bien été en contact avec ce patient, a l’affirmative, elle en a pris note et a dit qu’un médecin nous rappellerait. On n’a pas été rappelé.
On est donc rentré chez nous, sans consigne de protection ou de quatorzaine. Le lendemain, toujours pas de nouvelles, on retourne donc en stage. On sera simplement rappelé par la secrétaire:
« Bonjour, désolé on a pas pu vous rappeler hier, les consignes c’est que vous devez porter un masque de votre entrée à votre sortie de l’hôpital
– Quel masque ?
– Comment ça ?
– Quel type de masque, un masque chirurgical, un masque FFP2 ?
– Ah. Je sais pas. Je vous rappelle. »


« Un masque chirurgical.
– C’est tout ?
– Oui.
– Ok… »

En réalité, j’étais aussi censé prendre ma température 2x/j mais elle a oublié de me le dire.
Je n’ai pas compris pourquoi on ne devait pas porter de masque hors de l’hôpital alors qu’on croisait masse gens dans les transports donc j’ai changé les règles; port du masque de la sortie du domicile à mon retour. Rapidement après cet évènement, toutes les consultations sont suspendues ainsi que les réunions non essentielles à la survie des patients.

À la mi-mars, le confinement est déclaré, les stages sont annulés, celleux qui continuent de se rendre à l’hôpital sont appelés « les volontaires ». Les visites qui étaient limitées à quelques personnes ont finalement été interdites dans tout l’hôpital qui disposent de vigiles pour contrôler les entrées/sorties. Bien qu’on n’a pas besoin d’attestation pour circuler en Belgique durant le confinement, l’hôpital nous a déjà fourni un document pour ne pas se retrouver bloqué si les contrôles devaient devenir plus sévères. L’établissement a deux étages entiers dédiés au coronavirus (confirmés ou suspicions) sans compter les soins intensifs. Notre service a rapidement été vidé pour ne plus contenir aucun patient de notre spécialité. Nous servons alors de relai aux urgences. Nous voyons les patients qui après avoir été testés, semblent ne pas être contaminés si on se fie à leur imagerie thoracique (CT scan), nous les prenons en charge et les renvoyons chez elleux. Le frottis est la forme obligatoire de dépistage mais c’est lent et peu sensible (71%), ça fait donc beaucoup de faux négatif. Ce n’est pas top quand on teste un malade et qu’on obtient une réponse erronée. Donc frottis + imagerie, c’est un bon compromis.

Jamais de ma vie je ne m’étais retrouvé dans un service constitué de dizaines de lits totalement vides, on peut parcourir le couloir en long et en large, tout est propre, prêt et pourtant personne ne vient. Le personnel est sur le qui-vive, au fur et à mesure on se détend, on peut même voir des infirmières jouer aux cartes (scène impossible dans n’importe quels autres contextes). L’ambiance est bonne et pourtant, un nuage d’inquiétude nous survole, on sait que le pire est à venir. On a beau anticiper, on sera submergé par la vague, la seule chose qu’on ignore c’est quand.
Les chefs nous partagent leurs inquiétudes, les récits des quelques patient-e-s qu’on n’a pas pu sauver commencent à circuler. Le personnel ne veut plus rentrer dans les chambres où on sait comment l’histoire se termine. La cellule psychologique à notre attention est en place. La pression est mise sur les médecins pour attribuer un statut à chaque patient-e, autrement dit, qui peut être réanimé, qui peut bénéficier de certaines procédures comme la ventilation artificielle et surtout, qui n’y aura pas droit.

R e s t e z     c h e z     v o u s .

Bachelier en Médecine, est-ce que ça valait le coup ?

De la première à la troisième année de médecine

Cinq longues années de doutes et de remises en question.

Une absence totale de bagage scientifique; suite à un diplôme de technicien-ne en infographie et à mon activité bénévole et professionnelle dans le milieu du cinéma durant plusieurs années. Autant vous dire que j’ai bégayé quand j’ai vu des orbitales et des matrices pour la première fois de ma vie sur les bancs de la fac.

Reprendre des études sur le tard; non seulement je comprenais moins de choses que les autres mais en plus iels avaient 5 ans de moins que moi. Et puisque je vais doubler ma première année et faire les 2 années suivantes en 3 ans, il y a maintenant 7 ans d’écart avec la majorité de mes futur-e-s collègues.

Le concours; quand je suis entré en médecine, j’ai passé un test non contraignant (c’était juste une indication de notre niveau, histoire de se faire une idée). Sauf que j’ai pas validé mon année, et entre temps on a eu droit à des réformes, l’année suivante, pour valider ma première, j’avais un concours en juin avec un numérus défini. L’angoisse.

Les notes; elles n’ont jamais été fameuses, j’avais des difficultés à peu près partout. Toutes les personnes ayant une moyenne inférieure à 8/20 en janvier allaient être réorientées. Et il y en a eu des tas. Lors de ma première année en tant que doublant, les quatre cinquièmes de la promo ont été renvoyés comme des malpropres au milieu de l’année. Je vous raconte pas le bordel. Par chance, j’y ai échappé de peu.

Les rattrapages; omniprésent dans ma vie, j’ai passé tous mes étés en faculté de médecine à étudier, enfermé jusqu’à début septembre.

Changer de fac en milieu de cycle; après ma première année, j’en pouvais tellement plus d’avoir été malmené durant ces 2 ans pour la valider que j’ai décidé de changer de ville et de fac. Cette expérience a aussi été extrêmement houleuse et compliquée. J’en retiens très peu de positif même si je ne regrette pas ce choix.

Les potes; tisser des liens c’est jamais évident, dans ma première fac je vais rapidement trouver les autres personnes qui comme moi sont plus âgées mais contrairement à moi elles vont réussir et on ne sera plus ensemble. D’autres ne seront plus autorisé-e-s à continuer leur cursus et devront changer de pays. Moi-même en changeant de fac et en arrêtant d’aller en cours, je cesse de tisser des liens.

Les projets avortés; j’aurais beau souhaiter faire des activités extra-universitaires, je ne parviendrais jamais à suivre de cours de langue durant ces cinq longues années. Je parviendrais cependant à me mettre au sport durant quelques temps, jusqu’à ce que ma santé me rattrape. Mon activité principale et ma seule activité est l’étude. Je ne suis qu’oreille pour enregistrer, qu’oeil pour capturer et neurone pour mémoriser.

La santé; encore des doutes et beaucoup de douleurs psychiques, je présente tous les symptômes du burnout, les maladies chroniques s’accumulent comme pour me lancer de nouveaux défis.
Sclérose en plaques, dépression, dysautonomie.

La fin du supplice: le master

Tous ces événements n’ont pas eu lieu au début de ma quatrième année mais presque.

La persévérance; même si c’est ma sixième année en faculté de médecine alors que je ne suis qu’en quatrième et que certain-e-s de mes ami-e-s seront diplômé-e-s cette année, je ne le vis pas comme un échec. Je me suis accroché sans relâche pour en arriver là où j’en suis et même si c’était parfois insoutenable, j’ai tenu. Je connais ma force et mes doutes se sont dissipés.

La résilience; j’ai arrêté de me comparer aux autres, je sais que ma situation m’est propre, je ne suis pas dans la compétition. Je n’ai pas un parcours parfait, je ne serai jamais major de promo mais j’aurai ce que je suis venu chercher. J’aurai la spécialité que je vise, pas parce que je suis meilleur qu’un autre mais parce que je sais quels sont mes atouts.

Le master; pour la première fois dans ce cursus, je n’ai plus le sentiment d’être là pour être éliminé par des épreuves rocambolesques. Je me sens enfin réellement « étudiant en médecine » et pris au sérieux. C’est tellement apaisant, je peux enfin relâcher la pression.

Les notes; durant 3 ans nos notes sont comptabilisées et il est important d’avoir la meilleure moyenne possible pour obtenir notre spécialité de choix. Même si j’en suis conscient et que ça pourrait être un poids supplémentaire, je n’ai jamais aussi bien vécu une session d’examens que celle de janvier 2020. Car maintenant, je sais que je vais y arriver. Ma moyenne est bien plus haute qu’auparavant pour un moindre effort.

Les stages; au premier semestre, j’en ai effectué deux, un en médecine générale et un en soins intensifs. Ils se sont super bien passés et surtout, je me suis éclaté (surtout à l’USI). On m’y a bombardé de compliments et j’ai appris tellement de choses que je ne peux les résumer ici. Puis quel plaisir d’avoir à nouveau des patients, j’ai pas les mots.

Les potes; pour mon master, je suis retourné dans ma première fac (la seconde ne donne pas la suite du cursus). J’ai retrouvé mes ami-e-s et je m’en suis fait de nouveaux. Certain-e-s m’y rejoindront l’an prochain. J’ai eu du mal à croire qu’iels attendaient autant mon retour que moi mais c’est un fait, on est réciproquement enchanté-e de se retrouver. C’est beau.

D’amour & d’amitié; ceci est une petit parenthèse mais j’ai également la chance de vivre ma plus belle histoire de couple depuis 3 ans et une de mes plus belles amitiés depuis 2 ans.

Les projets; contrairement à avant, je m’autorise enfin de vivre. Ainsi, j’ai suivi des cours de langues étrangères orientés sur le médical. J’ai suivi une formation sur la gestion des voies aériennes, je suis retourné au bloc opératoire, j’ai fait mes premières échographies et sutures. J’ai entamé des démarches pour partir faire un stage à l’étranger cet été. J’ai commencé le suivi d’un patient chronique sur 3 ans.
Et surtout, j’ai dispensé des séminaires à des étudiants en santé en tant que patient expert.

La santé; au niveau psy, je suis sous anti-dépresseur depuis un an et demi et cela m’a énormément aidé. Je revis. Pour le reste, je fais avec, il y a des jours avec et des jours sans mais je serai inarrêtable. Sur ce qui concerne ma santé, je ne tolérerai aucun obstacle ou dénigrement validiste.


Alors, est-ce que ça valait le coup ?

Totalement.

Valide ta maladie

Fin 2019, une de mes proches est tombée « réellement » malade, une pathologie aiguë qui se soigne mais elle a dérouillé un bon mois, ça commence doucement à aller mieux.
C’est le genre de personne qui pousse toujours ses limites physiques aux extrêmes et qui cherchent des réponses. Naïvement, quand le diagnostic est tombé, je me suis dis que ça lui ferait peut-être un peu de bien. Pas que je lui souhaite d’aller mal mais je savais qu’elle s’en sortirait et j’espérais qu’elle apprenne de cette expérience pour voir son quotidien différemment et le mien à la rigueur (en tant que malade chronique).

Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Elle m’a expliqué qu’elle avait cherché à comprendre pourquoi ça lui était arrivé. Pourquoi elle. Pourquoi à ce moment. Qu’avait-elle fait pour attraper ça.
Vous la sentez la responsabilité du malade ?

Alors comme à son habitude, elle a décidé qu’elle s’occupait trop des autres et pas assez d’elle.
[Vous ai-je dis qu’elle m’a demandé pourquoi j’appelais après 35 min de monologue de sa part ?]

Elle a donc fait une recherche internet basé sur son ressenti et a décidé d’entamer un suivi avec une psychologue orienté dans les énergies / chakra / amour de soi pour minimum 6 mois à consulter toutes les deux semaines. Comme à chaque initiative de la sorte de sa part, elle est persuadée d’avoir trouvé la réponse, qu’avant elle était dans le faux. Elle va nous dire qu’elle a beaucoup appris, qu’elle a évolué, que c’est quelqu’un de mieux maintenant, c’est certain ! Dans quelques mois elle nous dira que si elle s’est retapée c’est grâce à cette psy, parce que les antibio : « Ohlala, qu’est-ce que ça l’a fatiguée ». Jusqu’au prochain virus & la nouvelle révélation de sa vie.

« Tu comprends, je pouvais rien faire, j’étais essoufflé sans arrêt. » C’est mon quotidien.
« Le temps qu’il me faut pour m’en remettre, j’ai l’impression d’être stone h24. » Moi aussi.
« J’ai dû monter une pente, c’était tellement dur, t’imagines pas. » Si.

Est venu le moment où elle m’a dit devoir me laisser mais au fait, comment tu vas toi ?
Bawi, c’est vrai ça, comment je vais. Je lui ai juste dit que c’était pas terrible en ce moment.

« Oui mais t’es très sédentaire. Tu bouges pas beaucoup, tu vas voir, avec tes stages ça va s’améliorer, rentrer dans la vie active va te faire du bien, quitter ton bureau un peu »

C’est fou ce que les valides peuvent être indécent.

Parcours

Quand j’ai décidé de me lancer en médecine sur un coup de tête à 23 ans, un gars a dit à une amie (deux ans plus jeune) qui reprenait les études également qu’elle avait « raté sa vie ».
Que vous partagiez ou non cette mentalité, je pense que mon parcours peut vous faire réfléchir.

En entrant au collège, très rapidement j’ai eu des problèmes avec les autres élèves. Après quatre ans de galère j’ai laissé tomber, je suis passé de l’enseignement général en « langues étrangères et sciences fortes » à un lycée technique en « infographie ». C’était avant tout un hobby, jamais l’idée d’en faire mon métier ne m’avait fait envie. Une fois le lycée touchant à sa fin, j’ignorais totalement quoi faire mais je voulais aller à l’université. J’avais monté dans le dos de mes parents un dossier pour partir en immersion en Asie après ma terminale, ce qui me laissait un an de plus pour y penser. J’ai eu mon diplôme, raté ma qualification et me suis envolé pour le Japon.

Sur la fin de mon échange, j’ai en partie perdu l’usage d’une de mes jambes pendant un peu plus d’un mois. Dans ma famille on aime pas trop les médecins, alors on a pas consulté. Et c’est passé.

Après mon retour, vu que j’avais un penchant pour les langues, j’ai opté pour la japanologie. Sauf qu’en Belgique, ce cursus n’existe qu’en Flandre, j’ai donc étudié le flamand tout l’été. Suite au conflit politique entre les deux régions, mon inscription à l’université a été refusée. Pris de court, je me suis lancé dans des études de « 3D » que j’ai abandonnées quelques mois plus tard.

Un peu par hasard, j’ai trouvé ma voie ; travailler sur des tournages. Chaque film est un mini-contrat dans des lieux différents, avec des gens différents, on travaille de nuit et les jours fériés. On oublie le monde réel. Je me suis présenté au concours d’entrée d’une école de cinéma en « scripte/montage » où seulement dix élèves sont pris par année. Je suis arrivé dixième mais cette année là, seulement neuf étudiants ont été retenus.

Après un an de bénévolat dans le milieu, j’ai re-présenté les épreuves, tous les profs étaient contents de me revoir, sauf une et j’ai à nouveau été recalé. Pas grave, j’avais même plus envie de faire d’études, j’allais me former sur le tas.

Entre temps, mon état de santé s’est dégradé mais bien plus fort que la première fois, résumé en ;
Généraliste → IRMs → Neurologue → Hospitalisation, ponction lombaire, potentiels évoqués, scan
→ Verdict : sclérose en plaques (déclarée à l’âge de 19 ans).
L’acceptation a été simple, ma sœur étant handicapée de naissance, pourquoi pas moi ?

Mon premier traitement de fond (visant à retarder la progression du handicap) consistait en des injections quotidiennes. Donc quand j’étais en tournage pour un film, je mettais mes dizaines de seringues au frigo et chaque matin, je me piquais devant les personnes partageant ma chambre.

En 2-3 ans, j’avais percé, j’avais mes contacts dans le milieu, un taff de rêve. Je suis retourné au Japon pendant plusieurs mois pour y faire un film. J’ai ensuite refusé un tournage avec Dujardin pour me concentrer sur l’obtention de mon permis de conduire.

Avec le recul, j’ai réalisé que mon corps ne tenait pas le rythme. L’équipe technique subit un stress énorme. On dort très peu, on a pas de jour de repos, le travail se finit dans la bière, on a pas le temps de manger, alors on boit du café, on fume et on finit alcolo (GROS cliché, pardon).
Il fallait que j’arrête et étant satisfait du dernier film tourné, j’ai tout plaqué pour me réorienter.

Ma maladie était devenue de plus en plus présente puisque comme prévu, mon état se dégradait. Plus le temps passait moins j’aimais les hôpitaux. J’ai donc décidé d’en faire mon lieu de travail pour banaliser cet environnement et nourrir la curiosité que j’avais développé pour la médecine.

J’ai commencé mes études supérieures avec des lacunes énormes en sciences et des troubles cognitifs prononcés (troubles de l’attention, de la mémorisation, …) liés à ma pathologie.
Lors de ma première année, on m’a appelé pour d’autres tournages (Japon, …) auxquels j’ai dû renoncer. J’ai finalement doublé et validé mon concours. Sans avoir jamais cru en moi.

Mes études m’ont aidé à résorber en partie mes troubles cognitifs. Mais beaucoup d’autres de mes capacités diminuent (sensibilité, coordination, motricité, proprioception …). Petit à petit, je n’ai plus été physiquement capable d’aller en cours, je fais partie de ces étudiants que vous croiserez trois fois par an à la fac, présent uniquement en TD obligatoires et aux examens. L’hôpital est devenu ma deuxième maison, je m’y sens à ma place. Les stages me permettent de changer de rôle et d’être celui qui prend soin, qui écoute, qui soulage. C’est là que je suis confiant, car en tant que malade chronique, je peux comprendre les obstacles et les adaptations nécessaires aux patients qui me ressemblent.

En entrant en médecine, j’ai croisé d’autres personnes plus âgées que la moyenne, qui avaient été pompier, pharmacien ou commerçant durant de nombreuses années avant d’entamer ce cursus. Il n’y a pas d’âge pour se réorienter et il y a des tas de raisons de le faire. Même si vous pensez ne désirer qu’une seule chose, il n’y a pas qu’une voie pour y parvenir et vous pouvez à tout moment de votre vie vous découvrir d’autres vocations.

À mes yeux, aucun de nous n’a raté sa vie. Nous l’affrontons et parfois, celle-ci nous dit qu’il est temps de changer de direction. Ne voyez pas cela comme une fin, c’est le début de quelque chose de nouveau. N’ayez pas peur de l’inconnu ou de l’échec, ils sont formateurs eux aussi.

Gardez espoir, battez-vous et prenez soin de vous.